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REGNAUD. — l’évolution de l’idée de briller

nomen a visiblement déterminé les traits du numen. Nous examinerons rapidement les conditions du phénomène. :

Indra, dans le Rig-Veda, est le nom d’un personnage mythique dont l’importance est aussi considérable que celle d’Agni. C’est le dieu guerrier par excellence ; il est toujours en lutte pour la conquête de dons qu’il prodigue à ses fidèles, et a pour principales qualités l’activité, la force, la grandeur et la libéralité. Le nom même l’Indra diffère de celui d’Agni en ce qu’il est exclusivement nom propre. Comme tel, il a certainement été significatif à l’origine ; autrement dit, c’est une ancienne épithète spécialisée, On n’est pas d’accord toutefois sur la signification primitive qu’il convient d’y voir. D’après les auteurs du Dict. de St-P., il faudrait le rattacher à la racine in, qui veut dire, être fort, user de sa force, presser, pousser. M. Bergaigne le rattache au contraire à la racine indh, brûler[1]. Les rapprochements de mots et d’idées auxquels est consacré le présent travail démontreront, je crois, d’une manière absolue que cette dernière explication est la vraie. Comme indh signifie à la fois brûler et briller, Indra était primitivement le brillant, c’est-à-dire un doublet mythique d’Agni. Or sous quelle influence a-t-il fini par prendre un aspect si particulier et si différent de celui de son ancien alter ego ? Ici, je n’hésite pas à voir l’effet, sinon du langage lui-même, du moins de l’évolution des idées qui s’attachent à ses formes. Que l’on compare en effet les différentes acceptions de la racine sanskrite mah, primitivement « briller », puis « être actif, énergique, fort, alerte, joyeux, généreux, » avec les principaux traits de caractère qui distinguent Indra, et l’on sera frappé de la ressemblance. La même similitude s’observe si, au lieu des significations multiples de mah, on examine celles de tejas, varcas, etc., tous mots où l’idée première, qui est celle de briller, a passé par des nuances secondaires analogues.

Mais où cette étude devient tout à fait probante, c’est quand on rapproche des qualités susdites d’Indra de celles mêmes qu’exprime le mot voisin indriya[2], synonyme de mahas, tejas, varcas, surtout dans le sens de « ardeur, force, vigueur physique et morale ». La conclusion qui s’impose à la suite de ces remarques, c’est que le mythe s’est développé conformément aux idées que la racine indh, comme toutes celles qui signifient briller, renfermait en puissance, et sous l’influence de ces idées.

  1. Rel. ved., III, 166.
  2. C’est à tort qu’on a l’habitude de regarder indriya comme un dérivé de indra au point de vue du sens, aussi bien que de la forme. Ou bien indra a possédé d’autres significations que celle que nous lui connaissons, ou bien indriya est le résultat d’une évolution significative parallèle, mais indépendante.