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REVUE PHILOSOPHIQUE

Toutefois ce développement ne s’est effectué, et c’est ici qu’intervient l’effet de la forme verbale, qu’à la faveur du caractère général gardé par l’idée de briller dans indra, indriya, comme dans tejas, mahas, varcas, etc., au lieu de se spécialiser dans la désignation d’un phénomène précis et déterminé, comme pour agni (feu). En d’autres termes, le mythe en ce cas est solidaire de l’idée (considérée comme inséparable du mot qui la représente), et l’idée elle-même ne prend tout son développement qu’avec les mots où elle conserve tout entière sa généralité[1].

Les directions que l’idée primitive de briller peut suivre étant nombreuses, on comprend que des mythes d’origine semblable aient revêtu des nuances différentes selon que le mot qui les désigne a suivi telle ou telle de ces directions[2].

C’est ainsi que le mot varuna, qui, comme agni et indra, signifie à l’origine le brillant (cf. Οὐρανός), s’est attaché à une divinité védique dont les traits sont très sensiblement différents de ceux auxquels Indra doit sa figure mythique. Varuna est surtout un dieu moral. Il voit les actions des hommes et les juge. Il a des chaînes dont il enlace ou délivre à son gré. Ces particularités s’expliquent de la manière la plus simple si l’on remarque, d’une part, la tendance générale qu’a le sens de briller à passer à celui de voir, observer, et de l’autre la facilité avec laquelle un grand nombre de mots sont partis du sens de « lumière » pour aboutir à l’idée d’ « enveloppe, étreinte », par l’intermédiaire de celle de « ciel, ciel nuageux, obscurité ».

Varuna est donc successivement et simultanément[3] le brillant, le voyant et le serrant. Comme pour Indra, l’évolution mythique a été déterminée, selon toute vraisemblance, par l’évolution significative.

Même phénomène pour Ἑλένη, primitivement « la brillante, » puis « la belle » ; d’où la personnification d’Hélène comme le type de la beauté aux temps héroïques[4].

Dans beaucoup de cas, les choses ont un aspect plus complexe, et l’influence verbale s’y montre sous un jour tout particulier.

  1. C’est ainsi que le mot sk. sûrya, : le soleil (de la rac. svar, briller), désigne un mythe, le dieu Soleil, sur lequel, comme pour Agui, l’influence verbale a été à peu près nulle.
  2. Leur divergence revêt surtout un caractère frappant quand elle aboutit à des oppositions absolues, comme pour le nom des dieux (primitivement, les brillants) et celui des démons (prim., les brûlants), ou celui du jour et de la nuit.
  3. Sans cette simultanéité, le mot varuna se serait localisé comme en grec au sens de ciel, par exemple, et le mythe n’aurait pu se développer que par l’imagination.
  4. L’homonymie (ou à peu près) de ἑλένη et de σελήνη, la lune, a pu contribuer aussi au développement de la légende d’Hélène. À cet égard, l’évolution mythique dépend des circonstances particulières dont nous allons parler.