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ANALYSES.weber. Les illusions musicales.

sique, fait par un écrivain très compétent en musique et qui a plusieurs des qualités du psychologue. L’auteur s’est attaché à déterminer avec une certaine précision ce que la musique peut exprimer, ce qu’elle ne peut pas exprimer. La plus grande partie du volume est, comme le titre l’indique, consacrée à l’examen des erreurs que l’on a plus ou moins acceptées sur la portée et les limites de l’expression musicale.

Le titre, Les illusions musicales, pourrait déjà devenir le point de départ d’une discussion assez sérieuse. Que peut-on bien entendre par une illusion musicale ? Le mot est de ceux qu’on croit bien entendre au premier abord. On s’aperçoit ensuite que le sens ordinaire est très contestable ; on voit enfin que l’on peut donner au mot un sens acceptable, mais qui implique toute une théorie générale sur un des côtés de l’art en général et de la musique en particulier. Je regrette que M. Weber n’ait pas un peu plus approfondi ce fait. « Se faire illusion, dit-il, ne signifie autre chose que se tromper de bonne foi dans ses jugements, avec la conviction qu’on est juste. Ne se point faire illusion signifie : voir les choses telles qu’elle sont, sans les prendre pour meilleures ou plus belles qu’on les a crues ou que d’autres les croient ou veulent bien les croire ; car, en musique aussi, on voit souvent les choses non pas comme elles sont, mais comme on veut les voir….. »

M. Weber affirme implicitement dans ces quelques lignes qu’il y a un critérium objectif de la valeur artistique d’une erreur quelconque ; c’est ce qu’il affirme encore en demandant que l’on ne juge pas uniquement la musique par le plaisir qu’elle nous procure. Je crois qu’il a parfaitement raison sur ce point, malheureusement il ne s’explique pas sur ce critérium objectif. En d’autres endroits on pourrait même trouver qu’il l’abandonne presque. « … Si l’art musical appartient aux beaux-arts, du même droit que les autres, il n’en résulte pas que ses beautés, non plus que celles des autres, doivent être susceptible, d’une démonstration mathématique. Je ne sais pas comment on peut forcer un homme à avouer qu’une statue est un admirable chef-d’œuvre, si ce n’est pas son avis. S’il soutient qu’un tableau est mal conçu, que les personnages manquent de caractère et d’expression, que la couleur est fausse, que le clair obscur est défectueux, que perspective aérienne est mal observée, on aura beau chercher à lui démontrer le contraire ; il peut fort bien persister dans son opinion. Tout au plus pourrait-on lui prouver qu’il n’y a pas d’erreurs mathématiques dans la perspective linéaire ; mais s’il soutenait que le peintre aurait dû placer autrement son horizon, son point de vue et son point de distance, il pourrait raisonner et déraisonner à son aise, sans qu’on pût le convaincre qu’il a tort. » Il s’agit, bien entendu, de savoir, et je pense que M. Weber l’entend ainsi, non pas s’il peut psychologiquement persister dans son opinion — psychologiquement, on peut soutenir toutes les absurdités dans tous les domaines, en musique et en peinture, comme en chimie et en mathématique, — mais s’il le peut logiquement. Or, si nous admettons ceci, nous en venons forcément à n’admettre que le sentiment, chose