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taines remarques de détail fort justes et fort intéressantes, nous permettra de critiquer certaines assertions de l’auteur au sujet des illusions musicales. M. Weber a bien vu lui-même d’ailleurs jusqu’à un certain point les critiques qu’on pouvait lui adresser, et il a tâché de les prévenir. À mon avis, il n’y a pas toujours parfaitement réussi, faute d’avoir suffisamment approfondi la psychologie de son sujet.

Après quelques pages sur les erreurs causées par l’habitude, les préjugés et l’ignorance, M. Weber s’attaque à la musique imitative, contre laquelle il paraît porter une condamnation à peu près absolue. Il voit bien cependant tout d’abord ce qui peut la relever ; peut-être n’en tient-il pas assez compte. « D’une part, la musique imitative est un genre très inférieur et même peu musical ; mais, d’autre part, elle touche à l’impression musicale véritale. » Et voici comment M. Weber juge la question : « Partout où le rapport entre la musique et la mimique est observé, la musique est plutôt expressive qu’imitative ; mais il faut essentiellement que l’expression mélodique elle-même réponde à la scène à laquelle la musique se rapporte… »

Je crois que personne ne défendrait sérieusement aujourd’hui ce que M. Weber appelle avec raison les enfantillages et les inepties de la musique imitative proprement dite. M. Weber en cite de curieux. Duesseck termine un morceau de piano intitulé : Les malheurs de Marie-Antoinette, par une glissade parcourant le clavier de haut en bas et destinée à peindre « la chute du couteau de la guillotine ». Reverony Saint-Cyr « a soutenu qu’en musique, pour toute image parfaitement rendue, le trait visuel concorde avec le trait du chant, et que la forme de l’objet doit se trouver sur le papier dans la série même des notes, pourvu qu’on l’y cherche avec art. » On ne peut guère aller plus loin. — Il m’a été donné, il n’y a pas bien longtemps, d’entendre imiter par un orchestre le départ d’un train de chemin de fer. De pareils amusements n’ont évidemment rien à faire avec le beau musical ; mais la question ne se pose pas moins de savoir si, dans quelques cas, l’imitation musicale ne peut pas contribuer à rendre l’expression plus forte et plus nette. Je crois qu’il en est ainsi, et je prendrai, pour l’établir, un exemple cité par M. Weber en l’interprétant dans un sens opposé. « Dans la scène de jeu de Robert le Diable, Meyerbeer accompagne le roulement des dés d’une phrase instrumentale dans laquelle on peut voir une imitation de ce roulement ; mais on peut mieux encore y trouver une traduction musicale de la mimique des joueurs ; tel devait être aussi le véritable but de l’auteur ; à mesure que le jeu devient plus passionné et que Robert perd davantage, la phrase instrumentale devient plus sombre, plus sinistre, ce qui serait un tort si elle n’exprimait que le roulement des dés. La musique de Meyerbeer est donc de la bonne musique scénique. »

La musique n’a rien à perdre à exprimer le roulement des dés, car elle peut être à la fois destinée à peindre l’état mental ou la mimique de Robert et en même temps ce roulement. M. Weber se trompe en disant