Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/327

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
323
ANALYSES.weber. Les illusions musicales.

que la musique ne devait pas devenir plus sinistre et plus sombre si elle n’exprimait que le roulement des dés, ou plutôt il aurait peut-être raison si la musique ne devait exprimer que ce roulement, mais elle doit exprimer en même temps autre chose. Il ne s’agit pas ici de rendre le roulement des dés tel qu’il se produirait pour un spectateur indifférent d’une partie sans intérêt. Il y a évidemment une association objective très forte entre le roulement des dés et le sentiment de désespoir que la perte de toutes ses richesses fait naître dans l’âme de Robert. Le roulement doit donc apparaître comme de plus en plus sinistre, la musique rendant d’une manière objective, par des combinaisons de sons, l’impression, l’émotion différente que fait éprouver à l’homme un bruit qui reste objectivement le même. Le bruit est le même, mais l’homme l’entend différemment, c’est là ce que rend la musique. Et comme l’association entre le bruit et le sentiment est très forte, la musique indiquera mieux le sentiment, sera plus expressive, non pas en reproduisant le bruit tel qu’il se produit dans la réalité, mais en l’imitant, en le rappelant et en le modifiant selon les passions auxquelles il s’associe. J’admettrai donc, en règle générale, que l’imitation est toujours bonne, — l’imitation artistique bien entendu, c’est-à-dire l’imitation inexacte et non le trompe-oreille, — quand le bruit qu’on imite peut, par association, réveiller certains sentiments, de manière à rendre la musique plus expressive. Mais l’imitation doit-être subordonnée. Il faut encore évidemment que le talent ou le génie s’en mêle.

Je ne veux pas examiner dans toutes ses parties le livre de M. Weber. Je passe à la couleur locale ; l’auteur ne l’aime guère plus que la musique imitative et met la musique historique à peu près sur le même rang. « On appelle couleur locale la propriété attribuée à la musique de se conformer au temps et aux pays auxquels se rapporte le sujet d’une œuvre vocale ou instrumentale. » Le seul moyen spécieux par lequel on a pu prétendre faire de la couleur locale, ce sont « les emprunts faits au style musical propre aux différents peuples ». Ce moyen, d’après M. Weber, ne vaut rien.

« En suivant toujours le même système, on caractérisera un Espagnol ou une Espagnole, la musique ne distingue pas les sexes, par une jota, un boléro ou une cachucha ; pour un Allemand, c’est plus difficile, car tout le monde fait aujourd’hui des valses ; il faudrait quelque chanson populaire bien tudesque ; si elle était un peu banale, cela n’en vaudrait que mieux. On ne peut pas non plus caractériser un habitant de la Bohême par une polka ; une czardas peut servir de signalement à un Hongrois, à condition que l’on sache que c’est une danse hongroise… Et comment donnera-t-on le signalement musical d’un Français ? Apparemment par un air de galop ou de quadrille, bien sautillant surtout et spirituel si c’est possible ; le sautillement est indispensable pour marquer la légèreté attribuée au caractère français… »

Il est inutile d’insister davantage pour montrer que, logiquement,