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ANALYSES.e. ferrière. L’âme est la fonction du cerveau.

même que la pensée est une parole intérieure ; c’est ce double aspect qu’exprime le λόγος des Grecs. L’indissoluble liaison de la pensée et du langage parlé ou écrit donne une importance extrême, etc. » Et p. 329, même volume : « Dans toute idée, il y a deux éléments, la pensée et le mot. La fusion est si complète que la pensée elle même a été appelée le verbe ou parole intérieure ; le logos des Grecs désigne à la fois la raison et la parole. On sait quel rôle a joué dans la philosophie ancienne la théorie du logos ou du verbe. Il semblait donc que l’idée était une et simple, tant l’identification de la pensée et du signe était intime. Cette unité n’est qu’une illusion ; la maladie se charge, en effet, de dissocier les deux éléments et de montrer que l’idée est une combinaison de la pensée et du signe, ce qu’en terme de chimie on nomme un alliage. » Il faudrait choisir ou prévenir le lecteur.

À la fin de son second volume, M. Ferrière, voulant ne laisser au spiritualisme aucun refuge, tâche de répondre à son « argument suprême », qui se tire de la différence entre la production de la pensée par le cerveau et celle des sécrétions matérielles et des organes qui les produisent. Pour cela, M. Ferrière a eu l’ingénieuse idée de chercher à établir qu’entre certaines sécrétions corporelles la différence est plus grande qu’entre l’âme et le magnétisme, que personne pourtant n’attribue à une substance spirituelle. L’erreur dans laquelle est tombé ici M. Ferrière est une erreur assez fréquente. Littré et d’autres y sont également tombés. Il n’est donc pas inutile de la signaler. M. Littré a dit que l’âme était au cerveau ce que la pesanteur était au corps en général, ou quelque chose d’équivalent. M. Ferrière dit que l’âme est au cerveau ce que la force magnétique est à l’aimant. « Le magnétisme est la fonction propre de l’aimant : les phénomènes magnétiques, manifestations de cette fonction, sont des mouvements propres, originaux, de même que les pensées, manifestations de la fonction psychique, sont des mouvements propres, originaux. »

Raisonner ainsi c’est tout simplement passer à côté de la difficulté sans la voir. Ce qui explique, sans la justifier complètement, l’objection des spiritualistes, c’est que l’âme est un ensemble de phénomènes particuliers, émotions, pensées, etc., qui sont peut-être intimement liés à des phénomènes de mouvement, mais que l’on peut connaître indépendamment de ces derniers. Il n’y a absolument rien de pareil dans le magnétisme, ni dans la pesanteur, où tous les phénomènes observés sont des phénomènes de mouvement sans aucun corrélatif subjectif intérieur observable. Or c’est précisément sur cette nature propre des phénomènes subjectifs que porte l’argument des spiritualistes.

M. Ferrière reproche encore aux spiritualistes de n’avoir jamais pu constituer l’existence d’une substance spirituelle. Il a parfaitement raison ; mais il ne paraît pas se douter que l’on n’a pas constaté davantage l’existence d’une substance matérielle. Si, en effet, nous appelons substance un complexus de phénomènes, la substance spirituelle existe aussi bien que la substance matérielle et peut se constater comme