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c’est-à-dire aux dimensions des organismes. Les organismes parvenus à cette limite (variable d’ailleurs pour chaque embranchement et chaque classe) ne sauraient donc organiquement continuer à satisfaire leur besoin inassouvi de conquête pacifiante. N’est-ce point pour cela qu’aux plus hauts degrés des divers types vivants, devenus de la sorte inextensibles, — c’est-à-dire, parmi les formes supérieures des zoophytes, des insectes, des vertébrés, — les représentants les plus élevés de ces types, comme s’ils renonçaient à l’espoir de progrès ultérieurs en continuant à suivre les voies de la vie, imaginent entre les êtres vivants un nouveau rapport que nous appelons social, répétition agrandie et transfigurée du lien vital, et aussi propre à pacifier et solidariser les organismes que celui-ci excelle à faire collaborer les éléments de chacun d’eux ? De là peut-être (??) l’apparition du monde social. Il débute bien bas, dès les plus humbles rayonnés. On voit qu’il répond à un vœu vital bien enraciné, bien antique. Qui sait si la société n’est pas l’épanouissement, l’émancipation de la vie, et, par suite, le plus clair miroir où nous puissions lire sa nature ?


III


Aussi bien est-ce aux sociologistes, mais par malheur à des sociogistes très incomplets, aux économistes, et à des économistes d’une seule école, la seule florissante de son temps en Angleterre, que Darwin a emprunté ses principales idées. Malthus lui a soufflé la tendance de tous les êtres à se multiplier suivant une progression géométrique ; toute l’école de Manchester lui a inspiré la vertu magique attribuée à la concurrence soit vitale, soit industrielle. La sélection en découle : il y a longtemps que ces écrivains, sans parler des utilitaires, avaient fondé le progrès de l’industrie sur la survivance des plus aptes et sur l’accumulation forcée d’insensibles perfectionnements ! Il n’y a pas jusqu’à la théorie de la rente de Ricardo qu’on ne sente confusément sous l’importance attachée par l’illustre transformiste aux moindres particularités avantageuses des variations individuelles conservées, véritables monopoles naturels. Un Smith ou un Bentham naturaliste : voilà Darwin, c’est-à-dire à coup sûr, ne l’oublions pas, un des plus puissants génies de notre époque.

Certainement s’il avait mieux écouté les économistes, il aurait pu les entendre vanter le travail aussi bien que la concurrence. Et le travail, qu’est-ce sinon à peu près la seconde des deux classes de