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LA THÉORIE DE LA MATIÈRE

D’APRÈS KANT


L’ouvrage de Kant : Metaphysischen Anfangsgründe der Naturwissenschaft, formait incontestablement, dans la pensée de son auteur, une partie intégrante de son système philosophique ; cependant il a relativement été négligé par l’école criticiste, parce que son appréciation exigeait un ensemble de connaissances scientifiques qui font d’ordinaire trop défaut aux philosophes. De la part des penseurs compétents qui s’en sont occupés, cet ouvrage a d’un autre côté, été l’objet de jugements en général assez sévères, et qu’il nous paraît au reste mériter dans une large mesure.

On ne peut mieux, je crois, comparer la tentative de Kant dans ce domaine qu’à la physique d’Aristote ; comme le Stagirite, le philosophe de Kœnigsberg a pris la science telle qu’elle existait à son époque ; il a considéré les principes généraux servant de son temps à l’explication des phénomènes de la nature, s’est efforcé de faire le départ entre l’élément empirique et l’élément apriorique de ces principes, et ce dernier étant dégagé, de le relier à sa théorie de la connaissance de façon à constituer, pour la science, des fondements en réalité métaphysiques.

Le défaut de la méthode est bien visible dans l’œuvre d’Aristote dans celle de Kant, le vice est au fond le même et deviendra dans l’avenir de plus en plus apparent à mesure que les progrès de la science dépasseront de plus en plus le cadre où l’on a vainement tenté de l’enfermer. C’est que, s’il est juste de distinguer à toute époque, dans les principes dominants pour l’interprétation de la nature, un élément empirique et un élément apriorique, le premier se développe sans cesse, par suite du progrès scientifique, et ces développements entraînent pour l’autre élément, d’incessantes modifications. L’erreur est de croire que, parce qu’il est apriorique, cet élément permette de constituer un ensemble de lois nécessaires ; il ne représente qu’un système d’hypothèses comblant les lacunes de la con-