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P. TANNERY. — la théorie de la matière d’après kant

V

La seconde loi de la mécanique de Kant est la loi d’inertie qu’il formule comme suit : — « Tout changement de la matière a une cause extérieure. » — On doit d’ailleurs reconnaître au philosophe de Kœnissberg l’honneur d’avoir précisé très exactement la formule mathématique à donner à cette loi pour ce qui concerne le mouvement, et d’avoir notamment contribué à substituer la notion d’inertie comme loi à sa notion comme force, telle qu’elle avait été introduite par Newton, de façon à créer une complication inutile.

Cette loi revient à dire que, pour que l’expérience soit possible, il convient d’abstraire du concept de la matière le concept de cause ou de force pour arriver à la détermination des lois des changements. Rien de plus exact, mais il ne faut pas attribuer au principe d’inertie une portée plus considérable.

C’est par définition que nous disons que la cause est extérieure ; du moment où nous disons cause, nous extériorisons par le fait même de notre abstraction ; ce qu’est la chose en elle-même, nous n’en savons rien. Dire que l’hylozoïsme est la mort de toute philosophie de la nature n’est vrai que de l’hylozoïsme qui se refuserait à faire cette abstraction, alors qu’elle ne préjuge pourtant rien sur le fond de la question, et si Kant se refuse précisément à faire cette abstraction pour l’âme, et par suite à en faire un objet de science, ou bien il faut dire qu’il a tort, ou bien il faut reconnaître qu’il nie purement et simplement l’application du principe de causalité aux phénomènes psychiques. Il est clair en effet que l’abstraction supposée devient illusoire, n’a plus le même intérêt (quoique toujours possible), si le principe de causalité est mis en question.

Si d’autre part on passe à l’application mécanique de la loi d’inertie, une grave difficulté se présente. Que faut-il entendre par changement ?

Pour Kant, et c’est au reste ce qu’on enseigne en mécanique rationnelle, le mouvement rectiligne et uniforme n’est pas un changement, et la force n’intervient que lorsqu’il y a changement de vitesse ou de direction, ce qui comprend, comme cas particulier, le passage de l’état de repos à celui de mouvement.

Que cette convention soit la plus commode pour le développement des conséquences, la question n’est pas là ; la poser ainsi d’ailleurs, serait aborder le côté empirique ; mais qu’il n’y ait là