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perd peu à peu les notions de volonté et de pouvoir occulte, et finit par être considérée comme l’action immanente des agents coopérant à la production de l’effet. » Pourquoi donc ajoute-t-il qué la science ne pourra jamais se débarrasser tout à fait de cette notion, selon lui, comprise dans l’idée originaire de cause ? Pourquoi surtout ajouter ceci : « Sans la notion de force, on ne peut expliquer le mouvement, et c’est ainsi que le font la mécanique et la physique ? » Les sciences physiques peuvent et doivent se débarrasser de cette hypothétique notion de force. Et c’est ce qu’elles font. « La partie patente et observable des phénomènes doit seule occuper le savant. Celui-ci aura établi une cause quand il aura défini le phénomène ou le groupe de phénomènes dont la présence est la condition nécessaire et suffisante de la présence du phénomène qualifié d’effet[1], » C’est M. Renouvier qui parle ainsi, M. Rabier confirme cette opinion par une déclaration d’autant plus significative, que ce jeune compatriote et disciple de Maine de Biran l’accompagne d’une profession de foi sincèrement dynamiste. « Cette notion de force, dit-il, indispensable pour se rendre intelligibles les phénomènes, est inutile pour en prévoir avec certitude le retour, ce qui est le but essentiel de la science. Pour prévoir, il suffit d’avoir constaté l’ordre régulier des successions. C’est pourquoi cette notion psychologique de force qui, pour le métaphysicien, est la clef de tout, n’a pas à intervenir dans les sciences positives. Dans les sciences positives, le mot force ne doit désigner que la condition physique observable et mesurable d’un certain mouvement[2]. » Bien mieux, ce pouvoir efficient de la volonté, dont on avait fait le type et le principe de la notion de cause, est dépouillé à son tour de ce privilège métaphysique : on avait cherché des agents dans les phénomènes, et voilà maintenant que l’explication de la force et de l’agent psychologique se résout en analyse de phénomènes. Triste retour des illusions métaphysiques.

IV. — Une prétention des philosophes, aussi exorbitante que celle de régenter les sciences, est celle de fonder une métaphysique de l’expérience. M. Cesca, ainsi que nombre de philosophes spencériens, admet une telle métaphysique. Elle sera une science des lois générales de l’être, une science des plus hautes généralités émergeant de l’étude des choses, et en même temps une science des principes les plus généraux de la connaissance. « Entre science et métaphysique, dit-il[3], il n’y aura de différence que dans le degré de généralité, la science ayant pour objet les lois des phénomènes et la métaphysique les lois des lois. » Je me demande si de simples différences de degré légitiment des distinctions et des dénominations spécifiques. Je crains que les adeptes de la nouvelle philosophie, avec leur à priori retourné, ne nous ramènent,

  1. Logique, t. II p. 311.
  2. Psychologie, p. 297.
  3. Storia e dottrina del criticismo, p. 217.