Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
95
ANALYSES.g. cesca. L’origine del principio di causalità.

de terre, d’un morceau de pain, d’un gâteau, d’un fruit, font promptement distinguer ces objets au point de vue de leurs qualités sapides[1]. Quel est le nourrisson de trois ou quatre mois s’étant brûlé à la chandelle ou au feu, ou le petit enfant de dix mois ayant fait connaissance avec le terrible clysopompe, qui ne recule instinctivement à la vue de ces objets, rappelant des sentiments de douleur ou de gêne ?[2] La véritable notion de cause, d’antécédent invariable d’un phénomène prévu, est tout entière, degré d’abstraction à part, dans les diverses expériences que je viens de rappeler. Le sentiment plus ou moins enveloppé de sa personnalité agissante, sa conscience cinesthésique, transportée déjà par analogie à d’autres êtres semblables à lui ou vivants, n’a rien de commun avec cette prétendue conscience d’une relation entre sa volonté, ses idées et ses mouvements. On pourra, par le langage et l’exemple, suggérer à l’enfant une acception illusoire de la cause-pouvoir, de la force effective. Mais, pour lui, la vraie causalité est caractérisée par la constance des relations sensibles, C’est celle-là qu’il transporte de lui-même des relations extérieures aux successions subjectives.

L’idée d’une conjonction constante entre des phénomènes, soit externes, soit internes, est la seule cause admissible pour le philosophe de l’expérience. L’idée de connexion nécessaire n’en est que la transcription mentale. On pourrait reprocher à Hume d’avoir fait de cette connexion une illusion subjective. L’enfant saisit, je ne dis pas plus tôt, mais plus clairement la conjonction entre les phénomènes extérieurs, pour la transporter, ou plutôt pour l’appliquer, grâce à l’analogie, aux phénomènes internes. La projection partielle dont je parle se fait donc du dehors au dedans, et non du dedans au dehors. Ensuite les influences du milieu social et de l’éducation spiritualiste lui font opérer en sens contraire, et cette fois-ci, à faux. L’idée de pouvoir et de force est une idée factice et surajoutée à l’idée primitive de cause, c’est-à-dire de succession constante. Cette idée anthropomorphique de force, dont l’équivalent devrait être chez l’animal, et il n’y est pas, a presque été expliquée par Hume : elle aurait son origine fallacieuse dans le sentiment de l’effort par lequel nous mettons en mouvement les corps externes, et que nous transférons (quelquefois par fausse analogie, observation incomplète, jeu, plaisanterie, et surtout par un effet de l’éducation) aux objets animés, quand nous les voyons transmettre ou recevoir du mouvement.

Cela étant jusqu’à un certain point établi, peut-on dire que la notion de force nous est indispensable pour interpréter la nature ? Elle l’est si peu, que M. Cesca fait sienne cette déclaration de Fiske : « Le progrès scientifique est un progrès continu de désanthropomorphisation… Cela se voit même dans le développement de la notion de cause, qui

  1. La psychologie de l’enfant, p. 34.
  2. ibid., p. 164.