Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
116
revue philosophique

l’hypnotiseur qui est averti et qui surveille son sujet sans en avoir l’air, saisit, à un moment donné, comme une sorte d’arrêt dans la pensée, de choc intérieur qui se traduit par un signe imperceptible, un regard, un geste, un pli de la face, n’importe quoi ; puis la conversation reprend, mais l’idée revient à la charge, encore faible et indécise ; il y a un peu d’étonnement dans le regard ; on sent que quelque chose d’inattendu traverse par moments l’esprit comme un éclair ; bientôt l’idée grandit peu à peu ; elle s’empare de plus en plus de l’intelligence, la lutte est commencée ; les yeux, les gestes, tout parle, tout révèle le combat intérieur ; on suit les fluctuations de la pensée ; le sujet écoute encore la conversation, mais vaguement, machinalement ; il est ailleurs ; tout son être est en proie à l’idée fixe qui s’implante de plus en plus dans son cerveau ; le moment est venu ; toute hésitation disparaît ; la figure prend un caractère remarquable de résolution ; le sujet se lève et accomplit l’acte suggéré.

On conçoit facilement que, suivant la nature gaie, triste, grotesque, étrange, criminelle même de l’acte suggéré, la scène change d’aspect ; mais toujours l’ensemble de la physionomie traduit avec une fidélité et une puissance incroyables les mouvements intérieurs qui précèdent l’exécution et toute cette lutte entre la volonté du sujet et la fatalité de l’idée provoquée par l’hypnotiseur. Un tel spectacle serait un enseignement pour les artistes, les acteurs ; en un mot pour tous, ceux qui ont à rendre cette suprême qualité de l’art, l’expression.

Cette lutte intérieure est plus ou moins longue, plus ou moins énergique, suivant la nature de l’acte suggéré et surtout suivant l’état même du somnambule. Quand le sujet a été souvent hypnotisé et surtout qu’il l’a été par la même personne, cette personne acquiert sur lui une telle puissance que les actes les plus excentriques, les plus graves, les plus dangereux même s’accomplissent sans lutte apparente et sans tentative appréciable de résistance. Les sujets ne se trouvent pas toujours du reste dans des conditions identiques ; il est des jours dans lesquels ils obéissent moins facilement et résistent aux suggestions. Cela arrivait quelquefois à Mlle A… E… — Vous êtes récalcitrante aujourd’hui, lui disais-je. Cela se présente surtout quand on est resté quelques jours sans endormir le sujet ; il semble dans ce cas que le rapport étroit qui existe entre l’hypnotiseur et l’hypnotisé soit affaibli. Par contre quand on l’a endormi plusieurs jours de suite et plusieurs fois dans la même journée, les suggestions se réalisent avec la plus grande facilité. En tout cas, même quand le sujet résiste, il est toujours possible, en insistant, en accentuant la suggestion, de lui faire exécuter l’acte voulu,