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BEAUNIS. — l’expérimentation en psychologie

au sujet ce que j’appellerai une suggestion indéterminée. La même personne est au laboratoire de physiologie de la Faculté de médecine, où je l’avais priée de venir pour quelques expériences physiologiques. Pendant son sommeil je lui suggère qu’à son réveil elle verra de très belles choses, des choses qui lui plairont beaucoup et qu’elle sera très contente ; après l’avoir réveillée, je la rendormis de nouveau pour lui demander ce qu’elle avait vu. Elle avait vu des dames dans un beau jardin, avec de belles toilettes, des bijoux, des costumes magnifiques. (Elle est couturière en robes et a en outre un goût très vif pour la toilette.)

Une autre fois j’ai essayé sur elle une autre sorte de suggestion indéterminée, mais à l’état de veille. Elle venait d’entrer chez M. Liébault et était parfaitement éveillée. Je lui dis : Dans une minute vous aurez envie de faire quelque chose de drôle et qui vous amusera beaucoup. — Mais quoi ? — Je n’en sais rien, mais ce sera très drôle et cela vous fera rire ; puis je la laisse. Au bout d’une minute, je la vois rire et se cacher la tête dans ses mains. — À quoi pensez-vous ? — À rien. — Si. — Je ne le ferai pas. — Je vous dis que vous le ferez. — Non. — Voulez-vous parier ? — Non, par exemple, et elle regarde toujours l’angle de la pièce où se trouve une étagère. Un moment après, je la vois sortir de la chambre et aller dans le jardin ; j’y vais à mon tour et je la trouve debout, endormie. — Pourquoi vous êtes-vous endormie ? — Parce que je ne veux pas faire ce que vous m’avez ordonné. — Je ne vous ai rien ordonné du tout ; je ne sais même pas à quoi vous pensez. — Je le sais bien moi. — Pourquoi ne voulez-vous pas le faire ? — Parce qu’on se moquerait de moi. — Vous le ferez cependant. — Oui, je le ferai, — Eh bien ; je ne veux pas vous tourmenter ; je vais vous enlever la suggestion, mais dites-moi auparavant à quoi vous pensiez. — À habiller avec mon mouchoir la petite statuette qui est sur l’étagère. L’idée drôle était, on le voit, un peu enfantine ; mais cette transformation en idée concrète d’une suggestion indéterminée comme celle d’un simple sentiment m’a paru intéressante au point de vue psychologique. La même expérience, essayée avec Mme H… A…, ne m’a donné aucun résultat.

La façon dont les suggestions s’établissent chez les sujets et les moyens qu’ils emploient parfois pour y résister donnent des renseignements précieux sur l’état de la volonté dans le somnambulisme. Rien de plus curieux, au point de vue psychologique, que de suivre sur leur physionomie l’éclosion et le développement de l’idée qui leur a été suggérée. Ce sera par exemple au milieu d’une conversation banale qui n’a aucun rapport avec la suggestion. Tout à coup