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duite dans le lavis à l’encre de Chine, fait dire aux peintres : Il y a là de la couleur[1]. » En d’autres termes, l’œil établit entre deux tons de coloration quelconque une comparaison portant sur leur intensité lumineuse relative, abstraction faite de la couleur. Cette comparaison ne peut être faite d’une façon rigoureuse, mais elle est incontestable, comme le montrent bien les reproductions de tableaux par la gravure. Toutefois nous étudierons tout d’abord la question de la valeur dans le cas d’une seule coloration, parce qu’elle offre alors plus de précision.

Au premier aspect, cette question paraît se réduire à celle de l’intensité lumineuse ; mais, après avoir discuté celle-ci, nous verrons que la valeur a une tout autre portée.

L’intensité du son et l’intensité lumineuse ont un rapport évident, et M. Sully Prudhomme rapproche avec raison la première du degré d’éclairage ; mais il nous paraît commettre une erreur de détail et négliger la question des intensités lumineuses et sonores, en tant qu’elles interviennent par leurs rapports dans un tableau ou une œuvre musicale, indépendamment du degré d’éclairage et de l’intensité absolue donnée aux sons.

L’erreur de détail dont nous parlons nous semble contenue dans le passage suivant : « Quand un corps coloré s’éloigne de l’œil (dans des limites telles, toutefois, que l’influence de la couche d’air intermédiaire, c’est-à-dire la perspective aérienne, reste négligeable), il devient moins lumineux pour l’œil sans que les qualités de sa coloration soient modifiées. » Nous ne croyons pas, en effet, que, l’influence de la perspective aérienne écartée, l’intensité lumineuse ou l’éclat de l’objet diminue, comme le fait le son. Indépendamment de l’observation, nous invoquerons quelques considérations théoriques, fondées sur la conformation de l’œil et de l’oreille. L’intensité des vibrations lumineuses, comme celle des vibrations sonores, décroît proportionnellement au carré de la distance ; mais, comme nous l’avons déjà vu, elles sont reçues dans des organes bien différents. Dans l’oreille, la vibration agit sur toute la surface capable de la percevoir, et par suite son action en chaque point, comme sur l’ensemble, est proportionnelle à son intensité ; la sensation qui en résulte varie dès lors en sens inverse de la distance ou, pour plus de précision, si l’on admet la loi de Weber et de Fechner, en raison inverse du logarithme de la distance. Tout autre est le phénomène optique : les vibrations émanées d’une surface donnée et reçues par le cristallin se concentrent toutes sur une portion déterminée de la rétine, et

  1. Livre III, chap.  17.