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LECHALAS. — comparaisons entre la peinture et la musique

cette portion est seule impressionnée ; si le corps s’éloigne, l’intensité de la vibration reçue décroîtra proportionnellement au carré de la distance, mais la surface impressionnée sur la rétine décroîtra dans le même rapport, en sorte que l’excitation par unité de surface restera la même : l’intensité de la sensation doit donc rester aussi la même, l’élément de cette sensation variable avec la distance étant l’étendue apparente.

Nous avons dit, d’autre part, que M. Sully Prudhomme n’a pas étudié les variations d’intensité lumineuse ou sonore dans une œuvre, indépendamment du degré d’éclairage ou de la force absolue donnée aux sons. En réalité, il a fait rentrer cette question dans celle du dessin et de la mélodie, puisque, comme nous l’avons vu, il fonde le rapport entre ces deux éléments, aussi bien sur la courbe des intensités que sur la courbe des hauteurs. Nous reconnaissons que la force du trait et l’accentuation des notes font partie du dessin et de la mélodie, mais ils n’en sont pas des parties essentielles, car dessin et mélodie subsistent avec un trait uniforme et des notes légale intensité. Il y a, par conséquent, intérêt à étudier séparément deux questions qui ne se confondent pas essentiellement. Examinons donc de près la notion de valeur.

L’emploi ordinaire de ce mot fait ressortir une contradiction étrange au premier abord, entre ladite valeur et l’intensité lumineuse : plus un ton est sombre, c’est-à-dire moins il contient de lumière, et plus il est dit avoir de valeur. Cette contradiction entre le mot et la chose s’explique aisément : la lumière est donnée par le soleil, ou plus généralement par une source extérieure aux objets perçus, et le rôle de ceux-ci est d’éteindre partiellement la lumière : plus donc ils l’éteindront, plus ils nous apparaîtront comme actifs. Cette considération générale est confirmée par l’étude d’un dessin. Celui-ci est généralement exécuté sur un fond clair au moyen d’un crayon foncé, en sorte que le crayon déposé par l’artiste sur ce fond éteint la lumière que réfléchissait la surface du papier ; mais il en serait tout autrement si le dessin était exécuté en clair sur fond noir, car alors l’action de l’artiste se manifesterait par la réflexion et non par l’extinction de la lumière. On serait enfin dans un cas mixte, si le dessin était fait au crayon blanc et au crayon noir sur papier teinté : il y aurait alors deux valeurs, l’une positive et l’autre négative. En peinture, la question est moins nette puisqu’un tableau ne présente pas un fond uniforme et que la peinture en couvre toute la surface, et il peut y avoir doute sur l’ordre d’estimation des valeurs. En général, cependant, les tons sombres sont dits avoir une plus grande valeur que les clairs, et Eugène Fromentin, parlant d’un