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CH. SECRÉTAN. — évolution et liberté

mes contradictoires en apparence qu’il faut nous frayer un chemin pour comprendre quelque chose à ce que nous sommes. Voilà, ce qui me fait attacher un prix extrême à l’idée de l’évolution. Nous devons statuer la création, mais nous devons comprendre la création d’une manière qui nous détache du créateur autant qu’il est possible, puisque c’est librement, par la volonté, que nous devons nous unir à lui. Nous ne pouvons nous concevoir comme créés sans nous supposer doués d’une certaine nature, d’une première détermination, Mais nous devons partir d’un minimum de nature ou de détermination, puisque notre détermination doit être essentiellement notre propre ouvrage. Ces considérations doivent faire comprendre le prix, la valeur morale de l’évolution. L’évolution est la véritable création, celle qui donne un être véritable à la créature, en la rendant autant que possible auteur d’elle-même et responsable d’elle-même. Nous devons être auteur de nous-même puisque nous sommes libres, Et quand je dis nous, je parle du monde, de l’ensemble de notre économie. La solidarité qui unit les membres de cette économie se manifeste avec une évidence absolument irrécusable, mais la solidarité n’est possible que que par l’unité, et l’unité, c’est l’esprit. Au commencement il faut placer l’esprit, l’esprit créateur. L’empirisme explique le plus par le moins, c’est l’ordre apparent : le moins précède le plus dans le temps ; mais prendre cet ordre apparent pour l’ordre vrai serait au fond nier la causalité. Dans l’ordre vrai, c’est le plus, c’est le mieux qui précède : le mieux, c’est l’esprit. Il est certain que toute notre force apparente, tout notre être apparent vient du soleil, comme il est certain qu’il y a d’autres soleils ; mais il n’est pas moins certain que tous les soleils et que toute matière n’existent que pour la pensée et par la pensée, comme toute pensée n’existe que pour l’amour et par l’esprit qui est amour : Voilà l’ordre réel, qui nous conduit à la création, à la liberté de la créature, à la primitive indétermination de la créature appelée à se constituer elle-même, et finalement à l’évolution.

Comme représentation des phénomènes successifs, de l’ordre apparent, je m’approprie donc non seulement l’évolution physiologique de Darwin, mais l’évolution cosmique de Spencer et de Haeckel, toute pareille au fond à l’évolution de la philosophie spéculative qui régnait en Allemagne au commencement du siècle, et dont on s’est tant moqué depuis. Je les accepte dans la mesure et dans la forme compatibles avec une conception des choses conforme aux exigences de la pensée morale, c’est-à-dire à la suprématie universelle de l’ordre moral. Je les accepte à condition de les interpréter par la certitude première de l’ordre moral.