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revue générale. — p. tannery. L’exégèse platonicienne.

qui avait obtenu l’estime de ses ennemis eux-mêmes, il met sous son nom le dialogue qu’il écrit à propos des Mémoires de Xénophon, et son premier soin est de corriger le portrait tracé par ce dernier.

Le Charmide est donc une recension, qui s’attache particulièrement à la façon dont Xénophon entend la connaissance de soi-même, et par un trait de singulière habileté, c’est dans la bouche de Critias que Platon met les raisonnements de Xénophon ; Teichmüller soupçonne à ce sujet que l’auteur des Mémoires avait effectivement fait des emprunts à des écrits de Critias, de même qu’il en a fait un bien connu à Prodicus : Platon aurait donc fait allusion à l’origine réelle des pensées émises par Xénophon.

Si le Charmide est une recension des Mémoires, le Protagoras est une recension de l’Ἀλήθεια d’Antisthène, mais Platon y continue, de même encore que dans la première moitié de la République, à relever divers passages de Xénophon, que Teichmüller met soigneusement en lumière. Je me borne à rappeler l’éloge de Glaucon et d’Adimante mis dans la bouche de Socrate au livre II de la République.

En ce qui concerne la grande œuvre de Platon, Teichmüller maintient ses conclusions antérieures, sans toutefois discuter à fond les conjectures de Chiappelli. Le livre V lui semble moins une riposte à l’Assemblée des femmes, d’Aristophane, qu’une parade avant une attaque facile à prévoir, peut-être même annoncée. Pour les derniers livres, il se contente d’établir par de nouvelles preuves qu’ils sont tous postérieurs au voyage en Italie et en Sicile, et il entre dans des détails circonstanciés sur les relations entre Platon et Denys l’Ancien.

Au sujet du Banquet, nous rencontrons des remarques nouvelles et importantes. — Le récit où Alcibiade dit avoir couché sous le même manteau que Socrate, est une allusion à l’insertion par Lysias, dans un discours d’accusation contre le fils d’Alcibiade, d’une histoire scandaleuse où ce dernier est représenté dans la même situation avec un nommé Archédème. Cette accusation, faite sous le chef de manquement aux devoirs militaires, et qui d’ailleurs n’aboutit pas, paraît devoir se rapporter à la conduite du jeune Alcibiade, lors du coup de main du spartiate Téleutias sur le Pirée, en 387. — Le discours de Lysias sur l’amour, rapporté dans le Phèdre, est une réplique au discours de Pausanias, dans le Banquet ; c’est d’ailleurs une réplique faite sérieusement pour la défense du πάνδημος Ἔρως. — Le Banquet de Xénophon est antérieur à celui de Platon ; le premier avait cité un écrit de Pausanias pour le prendre à partie ; dans le Banquet de Platon, Pausanias prend la parole pour répliquer à Xénophon. — Enfin Teichmüller conjecture, avec Wilamowitz Moellendorff[1], que l’occasion du Banquet de Platon fut la célébration d’une fête instituée à l’Académie qui venait d’être fondée, et de plus, que Platon voulut aussi garder le souvenir de la chorégie dont il avait fait les frais avec l’argent envoyé par Dion (c’est-à-dire Denys)

  1. Philol. Untersuch., IV, 1880, p. 282.