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pour l’indemniser de sa mésaventure d’Egine. Pour cette chorégie, n’avait-il pas repris la pièce d’Agathon ?

Le Phédon est aussi objet d’une intéressante digression, où Teichmüller établit que la théorie physique de la terre, quoique présentée sous forme de mythe, est très sérieuse au fond, et qu’Aristote l’a réfutée comme telle. Pour bien se rendre compte de cette théorie, il faut se rappeler qu’à cette époque, la plupart des Grecs, malgré Hérodote, se figuraient ce qu’ils connaissaient de la terre comme entouré par un courant d’eau douce, l’Océan, d’où sortaient les grands fleuves comme le Nil, le Phase, le Tanaïs, etc., pour venir se jeter dans la Méditerranée. Pour combiner cette représentation avec la loi que l’eau courante descend toujours une pente, il fallait supposer que le niveau général de l’Océan était sensiblement supérieur à celui des terres et que la Méditerranée se trouvait comme au fond d’un entonnoir.

C’est là l’idée dont part Platon, et qu’il cherche à mettre d’accord avec la sphéricité de la terre. Cette dépression, correspondant aux terres supposées enveloppées par l’Océan, ne pouvait évidemment pas occuper à ses yeux une portion de la sphère plus considérable que celle où s’étendent les contrées alors connues des anciens. Platon, par raison de symétrie, devait donc supposer sur le globe trois autres dépressions analogues, auxquelles il attache des noms mythiques comme l’est déjà celui de l’Océan, les noms de l’Achéron, du Pyriphlégéthon et du Cocyte ; ce sont là quatre fleuves qu’il faut considérer comme circulant à partir de leur source autour de la dépression, à un niveau moyen supérieur, de manière à donner naissance, soit directement, soit par des canaux souterrains, aux rivières tombant dans la mer centrale ; puis ces fleuves mythiques s’enfoncent sous terre, dans les gouffres du Tartare descendant toujours depuis leur source jusqu’à ce qu’ils arrivent au centre du globe ; mais à partir de là, Platon imagine qu’ils remontent jusqu’à leur source et que le mouvement se continue perpétuellement. Il a l’idée juste que l’effet d’une force centrale comme la pesanteur ne doit pas amener l’équilibre, mais se maintenir sous forme d’un mouvement périodique ; il explique cette idée en comparant ce mouvement à celui d’un pendule. Son erreur provient de l’ignorance où il est de la perte nécessaire de force vive résultant des frottements, aussi bien que du défaut de ses connaissances géographiques. Mais s’il n’a pas reconnu la véritable cause qui entretient le mouvement des eaux à la surface de la terre, — c’est-à-dire la circulation par les vapeurs et les pluies, — son explication hardie n’en garde pas moins la marque de son génie.

Remarquons aussi que, comme il fait provenir de l’Océan tous les courants d’eau douce dans le monde qu’il connaît, il fait provenir du seul Pyriphlégéthon toutes les éruptions volcaniques, qu’il relie ainsi à une même cause, par une explication bien voisine de théories modernes sur l’état de fusion des couches internes de la terre. Peut-être le Styx représente-t-il de même pour lui la source commune des eaux minérales froides. Quant à l’Achéron, situé à l’opposite de l’Océan, ses eaux