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revue générale. — p. tannery. L’exégèse platonicienne.

Il me suffira d’ajouter enfin que comme en général dans les ouvrages de Teichmüller, on trouve, cités par lui, les écrits les plus récents qui intéressent, à quelque titre que ce soit, le sujet qu’il traite, soit qu’il ait à s’appuyer sur eux, soit qu’au contraire, il ait à en réfuter quelque passage ; son dernier volume est donc, comme le précédent, particulièrement précieux au point de vue bibliographique.

J’ai cependant regretté de ne pas y voir mentionnée une thèse latine soutenue à Bonn en 1882 par F. Dümmler sur Antisthène, et qui, quoique insuffisante sur certains points, en éclaire assez bien quelques autres et soulève nombre de questions intéressantes.

Il y est notamment établi que la : thèse de la communauté des femmes soutenue par Platon dans la République, était également adoptée par Antisthène ; les deux disciples de Socrate se ressemblent encore singulièrement dans leur façon de juger la démocratie athénienne, comme dans leurs attaques contre ses grands hommes, de Miltiade à Périclès.

Mais sur tous les autres points pour ainsi dire, on rencontre des traces de polémique entre Platon et Antisthène. Ainsi dans le dialogue d’Hercule de ce dernier, Prométhée défendait, comme Platon, les sciences mathématiques que, sous le couvert de son glorieux patron, rejetait le fondateur de la secte cynique. On sait qu’Antisthène, au contraire, consacrait une bonne partie de ses études à des recherches qui ont été les premiers pas, encore bien incertains, de l’érudition critique ; qu’il s’occupait des étymologies et commentait Homère. On ne peut guère douter que ce ne soit contre lui qu’aient été dirigés, pour le toucher sur ces deux points faibles, d’une part le Cratyle, de l’autre l’Ion. Platon semble avoir préludé à ces attaques dans le Phèdre où se trouvent déjà des railleries sur les étymologies, à côté d’une froide interprétation de la fable d’Orithyie. Mais déjà dans la République, Platon avait pris nettement position contre les admirateurs d’Homère, tandis que dans le Théétète, il raillait finement ceux qui voulaient retrouver, dans le poète, les doctrines d’Héraclite.

F. Dümmler montre également que le petit Hippias est dirigé contre Antisthène, et que Platon y attaque ce que son antagoniste y avait dit d’Ulysse.

S’il n’a pas recherché, comme l’a fait Teichmüller, des allusions à Antisthène dans le Protagoras, il en montre dans le Théétète qui en contient également à Aristippe. Il soutient enfin que la polémique de Platon a été close par le Sophiste[1], où il croit reconnaître l’auteur de l’Ἀλήθεια sous le masque de l’étranger d’Elis. Mais ce dernier point mérite sans doute d’être plus amplement discuté, quoique F. Dümmller ait fait sur le Sophiste des remarques intéressantes.

Le public français n’a malheureusement pas encore le volume concernant Platon de la traduction entreprise par M. Boutroux du grand

  1. Elle semble en tout cas s’être ouverte en réalité par l’Euthydème, qui vise directement des disciples et amis d’Antisthéne.