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ouvrage historique d’Ed. Zeller. Le tome III de cette traduction, lequel vient de paraître, renferme seulement Socrate et les Socratiques. C’est, à mon sens du moins, la meilleure partie de l’ouvrage ; quelle que soit en thèse générale, sa très haute valeur, tout à fait incontestable, on peut lui reprocher, pour la philosophie antésocratique, d’avoir trop suivi les cadres historiques antérieurs et d’avoir mieux accusé les divergences des systèmes que montré les ressemblances.

Depuis qu’Aristote s’est plu, avant d’exposer chacune de ses théories philosophiques, à opposer et à détruire les unes par les autres les opinions de ses devanciers, tous les anciens doxographes ont suivi la même marche jusqu’aux auteurs chrétiens, qui ont encore exagéré le procédé. Mais du Stagirite aux Pères de l’Église, c’est toujours au fond la même pensée : avant nous était le chaos de l’erreur, nous sommes les premiers à posséder les bases indestructibles de la véritable doctrine. Que cette pensée soit légitime chez un dogmatique, rien de plus naturel, mais l’historien a un tout autre problème à se poser, et il est clair que, malgré les efforts de Zeller, ce problème n’est nullement résolu pour la philosophie antésocratique, que l’ensemble des divers systèmes apparaît toujours discordant et sans liaison véritable. C’est que pour cette époque, le développement des idées philosophiques ne s’est pas effectué, comme plus tard, d’une façon relativement indépendante ; c’est qu’il a été mené par le développement parallèle de la conception cosmologique, c’est-à-dire par le progrès scientifique ; la raison de l’idée fondamentale de chaque système au point de vue philosophique, ne peut donc se trouver dans les idées analogues des systèmes antérieurs, suivant une loi d’ordre historique, elle est à chercher dans des concepts d’un tout autre ordre, d’un caractère en réalité scientifique, et dont l’évoution suit la voie que retrace l’histoire de la Science. Ainsi pour les antésocratiques, pour les physiciens, la méthode suivie jusqu’à Zeller doit être profondément modifiée ; ainsi seulement on pourra rétablir l’unité qui a présidé un fait aux premiers développements de la pensée philosophique ; ainsi seulement, au dernier terme de son évolution, on pourra pleinement comprendre ce qu’elle est vraiment dans Platon.

Celui-ci et Aristote, d’autre part, ont laissé une œuvre trop considérable et soulevant trop de graves questions, pour qu’il soit possible de les faire rentrer dans le cadre d’une histoire, de façon à satisfaire tout le monde. Quoi qu’on fasse, on tombera dans l’exégèse, et l’on ne pourra épuiser les questions. Pour le volume consacré à Socrate et aux socratiques, cette difficulté n’existe pas, et on peut louer sans réserve Zeller de la façon dont il a résolu les autres, et traité l’ensemble de son sujet.

L’introduction — sur le développement de l’esprit grec au cinquième siècle — avec ses larges aperçus sur l’état politique, la religion, le théâtre, les historiens de cette époque, — est particulièrement magistrale, et le collaborateur de M. Boutroux, qui a traduit le nouveau volume, M. Belot, l’a rendue dans un style très ample et très remarquable.

La question de l’emploi des sources Xénophon et Platon, relatives à