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blé qu’elle lui soit tombée du ciel. Car on ne peut pas supposer que la dissection sur le cadavre lui ait montré des nerfs assez durs et des nerfs assez mous pour ne pouvoir être confondus. C’est là une vue à priori, qu’il a trouvée plus ou moins en vogue autour de lui, qu’il a adaptée à sa découverte, mais qui n’y a pas contribué ; une vue sans réalité comme sans valeur. Mais le traité Des lieux affectés, sans lever complètement le voile, nous permet de l’écarter et d’entrevoir la vérité.

On pourrait d’abord supposer que c’est au lit du malade et par la réflexion que Galien est arrivé peu à peu à l’idée de deux espèces de nerfs douées de propriétés différentes. Rappelez-vous ces scènes racontées par Galien où des médecins se battent les flancs pour expliquer ces pertes de sensibilité sans que le mouvement soit atteint, de mouvement sans que la sensibilité soit atteinte ; ces beaux raisonnements sur le degré de force et de faiblesse que supposent, la sensation pour être éprouvée, le mouvement pour être produit ; la triomphante réfutation de Galien par les faits. N’y a-t-il donc rien de suggestif dans de telles discussions ? Serait-il invraisemblable d’admettre que Galien a pu être mis ainsi sur la voie, et arriver par la vertu du raisonnement à cette conclusion si naturelle puisque la sensibilité et la motilité s’exercent indépendamment l’une de l’autre, il faut qu’elles soient servies par des nerfs indépendants, doués de propriétés différentes ? Cette supposition ne paraîtra pas étrange si l’on se rappelle à quel point les anciens en général, et Galien en particulier, excellaient dans la dialectique. Je ne m’y arrête pas, toutefois, car j’ai mieux à proposer au lecteur.

J’ai la conviction que Galien est arrivé à l’idée de deux espèces de nerfs de nature différente par le même chemin que devaient suivre les modernes, celui de la dissection sur le vif, c’est-à-dire celui de la vivisection.

Galien vivisecteur, cela se peut-il ? Cela se peut, car c’est un fait incontestable. Rappelez-vous le passage ci-dessus cité où Galien, voulant rendre compte des paralysies totales et partielles, s’exprime à peu près ainsi :

« Il faut se rappeler les résultats fournis par la dissection. La dissection nous apprend que, sauf la face, toutes les parties inférieures du corps, et qui sont soumises à l’empire de l’intelligence et de la volonté, ont des nerfs, lesquels tirent leur origine de la moelle épinière. La dissection nous apprend que la face a aussi ses nerfs, lesquels procèdent directement du cerveau… »

Jusqu’ici, la dissection dont il s’agit, c’est la dissection de l’anatomiste qui opère sur le cadavre ; mais lisez et pesez la suite :

« Elle fait plus : elle nous apprend que si l’on incise transversalement dans toute sa largueur la moelle épinière, toutes les parties du corps situées au-dessous sont aussitôt privées de sensibilité et de mouvement ; elle nous apprend que si l’on incise seulement la moitié