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CHAUVET. — un précurseur de ch. bell et de f. magendie

droite ou gauche de la moelle, alors ce ne sont plus toutes les parties situées au-dessous qui perdent la sensibilité et le mouvement, mais seulement celles qui correspondent à l’incision. »

Est-ce en incisant diversement la moelle épinière sur des animaux morts que Galien a pu constater ces abolitions diverses de la sensibilité et du mouvement, ou n’est-il pas trois fois évident qu’il a dû opérer sur des animaux vivants ? Et pourquoi pas ? Je m’étonne rais plutôt qu’un si habile anatomiste, qu’un si intrépide chercheur, eût passé sa vie à disséquer des cadavres d’animaux, sans que l’idée lui fût jamais venue d’instituer des expériences sur des animaux en vie.

Je relis le dernier passage que je viens de transcrire, et je suis sous l’illusion de croire entendre Ch. Bell, F. Magendie, ou Flourens : ils ne procédaient pas autrement et ils ne parlaient pas autrement.

Doutez-vous malgré tout ? Je tiens en réserve un argument sans réplique : Galien avait écrit un traité De la dissection des animaux vivants, lequel comprenait au moins deux livres. Et celui qui nous apprend cet important détail ne saurait être suspect, car c’est Galien lui-même, qui dit littéralement : « J’ai étudié cette question dans le deuxième livre de mon traité De la dissection des animaux vivants[1].

Ainsi Galien disséquait sur le vif ; ainsi c’est en disséquant sur le vif qu’il avait découvert les causes des paralysies simultanées de la sensibilité et du mouvement : comment douter que ce ne soit encore en disséquant sur le vif qu’il en vint à comprendre les causes des paralysies de la sensibilité exclusivement, et de la motilité exclusivement ? Et si l’on me dit : pourquoi donc décrit-il les expériences qui lui ont révélé l’origine des paralysies simultanées, et ne décrit-il pas celles qui lui ont révélé l’origine des paralysies exclusives ? Je répondrai que l’objet du traité Des lieux affectés ne l’y obligeait pas ; que chez Galien, comme d’ailleurs chez les anciens en général, la composition n’a jamais la rigueur qu’on trouve chez les modernes ; et qu’enfin l’exposition qui manque ici devait se trouver tout au long dans le traité De la dissection des animaux vivants, auquel il renvoie une fois le lecteur, en disant : « J’ai étudié cette question dans le deuxième livre de mon traité De la dissection des animaux vivants. »

Telle est donc, en résumé, la découverte de Galien, à savoir la distinction des nerfs sensitifs et des nerfs moteurs ; tel est le procédé qui l’y a conduit, à savoir les expériences de la vivisection. Et maintenant, je demande si Flourens, mieux renseigné, n’eût pas eu le devoir de mentionner le médecin ancien et de saluer en lui le précurseur de Ch. Bell et de F. Magendie ?

Emm. Chauvet.

  1. Des lieux affectés, l. III, ch. iii : ὑπὲρ ᾧν εἴρηται μην ἤδη καν τῷ δευτέρῳ περι τῆς τῶν ζώντων ἀνατομῆς.