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NOTES ET DISCUSSION


L’OBSERVATION INTERNE ET L’OBSERVATION EXTERNE EN PSYCHOLOGIE.

La très intéressante et très instructive étude de M. Beaunis sur l’expérimentation en psychologie par le somnambulisme provoqué[1] débute par une thèse historique dont l’exactitude me paraît très contestable. « L’observation interne, seule préconisée autrefois, dit l’auteur, n’a rien donné de ce qu’on en attendait, et tout le génie des hommes qui se sont occupés de l’étude de l’âme n’a pu prévaloir contre l’insuffisance de la méthode. En réalité, nous en étions encore, il y a quelques années, au traité de l’âme d’Aristote ou peu s’en faut. » Je n’entends pas contester, dans les lignes qui précèdent, l’insuffisance de l’observation interne en psychologie, mais l’ancienneté attribuée à cette méthode. La vérité est que l’emploi exclusif ou prédominant de l’observation interne est une nouveauté, qui appartient en propre à notre siècle et, dans notre siècle, à une seule école de philosophie.

Le traité de l’Âme d’Aristote, que cite M. Beaunis, loin de reposer entièrement sur l’observation interne, est pour la plus grande partie, un traité de physiologie. On n’y trouverait sans doute qu’une psychologie très surannée ; mais on ne saurait reprocher à Aristote de n’avoir pas devancé la physiologie de notre siècle, non plus qu’on ne pourra reprocher, dans douze cents ans, à nos plus savants contemporains de n’avoir pas devancé la physiologie du xxxe siècle. Ce qu’on ne saurait nier, au point de vue historique, le seul où je veuille me placer ici, c’est qu’Aristote, dans sa psychologie comme dans sa physique, s’est attaché avant tout à l’observation externe. Qu’il ne l’ait pratiquée que d’une façon très imparfaite ; qu’il y ait abusé des hypothèses métaphysiques, je n’en disconviens pas ; mais les défauts de sa psychologie sont du même ordre que ses erreurs dans les autres branches des sciences naturelles ; elles ne tiennent en aucune façon à l’abandon de l’observation externe pour l’observation interne. Ce qui est vrai d’Aristote l’est également de tous les philosophes de l’antiquité et du moyen âge. Les plus idéalistes, comme Platon et son école, ont beau

  1. Voir les deux numéros précédents de la Revue.