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ANALYSES.ch. secrétan. Le principe de la morale.

tour particulier et peut-être certains préjugés dont il n’a pas lui-même conscience. La religion chrétienne s’identifie pour lui avec la religion en général ; elle en est la forme la plus élevée et incontestablement la plus importante, pour notre civilisation. La religion est tout ou elle n’est rien : on ne saurait lui faire sa part, lui mesurer sa place, et ceux qui refusent de lui rien donner dans leur vie la comprennent mieux que les gens raisonnables qui veulent partager avec elle. Autoritaires, rationnalistes, théologiens timides et juste milieu, tous ceux qui ne font pas de religion un accident de l’histoire, mais une fonction essentielle de la vie humaine, méconnaissent cependant son rôle. La raison scientifique ne peut pas fabriquer un moule où l’on coulera la religion la religion est une force vivante qui se donne à elle-même sa forme et qui crée en prenant conscience d’elle-même sa véritable philosophie. Ce n’est ni à la tradition morte ni à la spéculation abstraite qu’il appartient d’indiquer ce qui est essentiel à la piété, mais au seul sentiment chrétien, à l’intuition, en un mot à la grâce ». « En fait la religion n’est pas l’expression d’un sentiment particulier, elle déclare nos besoins en général, notre besoin, le besoin d’être. La science et la morale y sont enfermées et ne sauraient prospérer en se détachant du fond qui les nourrit. » Pour qu’une religion exerce sur les âmes un empire véritable, il faut qu’elle ne reste pas en hostilité avec la science, mais s’empare de ses données et les interprète à son point de vue : c’est à la raison logique appuyée sur l’expérience de faire voir comment il est possible, en restant d’accord avec la science, de satisfaire aux exigences de la piété. « Si la foi perd ses prises sur les populations de l’Europe, l’absence d’une pensée religieuse, qui soit vraiment religieuse et qui soit vraiment pensée, rend compte aisément de ce fait douloureux. » Mais s’il y a conflit, c’est à la science à céder devant la religion. M. Secrétan, ne pouvant parcourir dans son livre tout le domaine de la philosophie religieuse, a pris pour exemple la prière. « La prière est le fait religieux par excellence, la religion en acte. » Si l’on n’admet pas que la prière est légitime, la morale et la métaphysique peuvent subsister, mais ni la morale, ni la métaphysique ne sont la religion. De plus il est impossible d’imaginer une prière qui ne serait pas une demande : nous ne pouvons adorer Dieu et ne pas lui demander pardon de nos fautes (p. 343). Mais prier sans croire à l’efficacité de l’oraison serait une contradiction aussi grossière que de s’approcher de Dieu sans le prier ». L’action bienfaisante de la prière pour celui qui prie ne suffit pas à rendre compte de la prière, car nous ne pouvons pas ne pas demander à Dieu le bien de nos frères, leur bien spirituel, tout au moins ; nous ne pouvons pas ne pas croire à l’efficacité de notre intervention auprès de Dieu. Cependant le miracle au sens où on l’entend d’ordinaire, le miracle, dérogation apportée après coup aux lois qui régissent le monde, porterait atteinte à la fois à la pensée scientifique et à la pensée religieuse, mais si les causes naturelles agissent toujours de la manière qui leur est propre, nous ne connaissons pas entièrement leur mode d’ac-