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et cette fois la modification a été très heureuse, nous semble-t-il. Ce que nous maintenons, au reste, c’est qu’en fait il y a une distinction absolue entre les consciences individuelles, mais cette distinction est une distinction subjective qui peut ne pas correspondre à la réalité des choses.

Quand, à la fin de son livre, M. Secrétan s’est retrouvé en face de cette opposition entre la science et la métaphysique des mœurs qu’il avait souvent signalée, il a essayé de la résoudre par sa belle théorie de la prière, mais elle pouvait trouver place même dans une doctrine qui n’accepterait pas la morale impérative qu’il nous propose. Le monde n’est pas achevé, ni nous-mêmes, la science ne peut nous apprendre que le comment des choses, mais non les destinées de l’univers ; ce n’est point à nous de les juger et nous n’avons pas de comptes à demander à Dieu. La science nous enseigne ce qu’il faut pour agir ; quant au reste ne pouvons-nous nous résigner à l’ignorer ; ne pouvons-nous chercher, nous servant des lois qui le régissent, à rendre pour nous le monde meilleur et plus beau et avoir le courage de ne pas juger une réalité qui nous dépasse et nous déborde de toutes parts. Les choses sont ce qu’elles peuvent être et ce que nous les faisons ; elles et nous, nous sommes des instruments dans la main de Dieu qui va à un but que nous ne connaissons pas. Il faut agir selon notre idéal et adorer Dieu en espérant en l’avenir. Qu’est-ce donc que l’opposition du droit et du fait, sinon l’opposition entre le monde d’hier qui nous a été donné et le monde de demain que nous concevons et que nous contribuerons à faire : l’idéal d’aujourd’hui sera peut-être demain la réalité, réalité condamnée à son tour au nom d’un autre idéal. Mais tout homme vraiment religieux priera et il sait qu’en priant il cherche à s’unir à Dieu et non à exercer une contrainte sur sa volonté : il sait que la prière, l’intime conversation avec le Dieu auquel il croit, le rend plus fort et meilleur.

L. Marillier.

Lévy-Bruhl. — L’idée de la responsabilité. In-8o, Paris, Hachette[1].

IV. Sans doute la conscience publique n’est pas encore disposée de nos jours à suivre M. Lévy dans son entreprise, et à lui accorder qu’il faut faire dans la vie de l’homme deux parts radicalement distinctes : celle de l’unité sociale, et celle de la personne morale ; pour la plupart des hommes en effet, rien n’est, en ce monde, et à plus forte raison, dans l’humanité, absolument dépouillé de certains caractères moraux ; il n’est pas jusqu’aux phénomènes physiques ou astronomiques qui ne revêtent à l’occasion la forme d’une sanction destinée à récompenser ou punir nos mérites ou nos fautes les plus intimes. Ainsi se trouveraient subordonnées à une sorte de justice universelle les lois et les phénomènes du monde pris dans son ensemble. Qu’il y ait dans cette

  1. Voir le numéro précédent de la Revue.