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CH. FÉRÉ. — sensation et mouvement

l’idée. D’autre part, on est en droit de dire qu’une idée n’existe effectivement que lorsqu’elle est suivie d’un acte qui est la seule preuve de l’intensité suffisante, ou au moins qu’il faut distinguer les idées faibles ou statiques, non suivies d’actes, et les idées fortes ou dynamiques, avec impulsion irrésistible à l’action.

L’induction psycho-motrice joue un rôle considérable dans la contagion des émotions et des sentiments. La vue d’un mouvement invite, disons-nous, à la reproduction de ce mouvement : or les expressions de la physionomie, qui traduisent les émotions, sont susceptibles de se reproduire de la même manière en dehors de tout état de conscience. D’autre part, c’est un point mis en lumière par Braid, par MM. Charcot et Richer, etc., que l’attitude et l’expression suggèrent l’idée ou l’émotion correspondante. Si on peut lire sur son visage la pensée de son interlocuteur, c’est qu’en le regardant on prend inconsciemment son expression, et l’idée se présente en conséquence ; la lecture directe ne se fait que lorsque l’expression est forcée. On a cité un diplomate qui avait l’habitude d’imiter la mimique des gens qu’il voulait deviner.

L’induction réciproque multiplie l’émotion ; c’est ce qu’on voit souvent dans les assemblées. L’expression du plaisir, peinte sur un autre visage, augmente notre propre plaisir ; d’où il résulte que l’on a intérêt à provoquer le plaisir de l’autre pour augmenter le sien. L’origine égoïste de l’altruisme peut s’expliquer ainsi physiologiquement ; et les considérations qui précèdent font soupçonner que si, comme l’a dit Littré[1], l’altruisme est en corrélation avec la sexualité, c’est par un procédé différent de celui qu’il indique.

Cette nécessité qui s’impose à la longue de reproduire le mouvement que l’on voit faire, de prendre l’expression des personnes avec lesquelles on a l’habitude de vivre peut peut-être rendre compte de la ressemblance qu’on observe quelquefois chez des époux qui ont vécu longtemps ensemble. Elle explique la contagion de l’accent, de certains spasmes, comme le bâillement, etc.

L’exagération de la puissance d’un mouvement sous l’influence de la vue de ce mouvement nous fait, avons-nous dit, comprendre comment la simple représentation mentale du mouvement peut aussi en exagérer l’intensité ; mais plus faiblement, puisque le souvenir ne peut donner qu’un renouvellement atténué de la sensation. Toutefois cette exagération peut se démontrer, se peser, et elle est très importante à connaître lorsqu’on se livre aux recherches qui nous occupent.

Lorsque le sujet est prévenu qu’on va lui demander de faire un mouvement de pression, cet effort préparé est beaucoup plus énergique que l’effort fait au commandement.

Ce résultat est tout à fait en rapport avec les faits connus et relatifs à l’étude des sensations, qui nous montrent que l’attention diminue le

  1. Littré, Les origines organiques de la morale (Revue de philosophie positive 1870, t.  VI).