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succède au règne des caprices. L’enfant qui vient de faire un acte en contradiction avec son expérience utilitaire, qui aurait du (croyons-nous) se souvenir des leçons subies et des recommandations réitérées, s’en souvient aussitôt l’action faite, pour trouver des excuses à sa faute, ou même pour la rejeter sur autrui. Il est aussi tout plein de sages avis, d’excellentes raisons pour détourner ses amis d’actes qu’il aurait lui-même exécutés sans tergiverser. Nos conseils, qu’il écoute à peine pour son usage, il les prodigue aux autres avec assurance. Et nous aussi, sans avoir la même inexpérience, ni surtout la même sincérité, ne sommes-nous pas trop souvent parfaits au prêche, pitoyables à l’œuvre ?

Nous venons de voir la part que l’inconscient, ou le subconscient, se fait de lui-même dans l’exercice de nos diverses facultés, et celle aussi que l’on peut faire a la conscience dans l’inconscient. Qu’il s’agisse des idées, des sentiments ou des volitions, la priorité chronologique est à celui-ci, la priorité logique à celle-là. L’un fait la quantité, l’autre plutôt la qualité des états mentaux. Il y aurait imprudence à laisser agir seule la nature, incapable de trouver par elle-même toutes ses voies. La vie humaine, avec ses directions compliquées et son enchevêtrement infini de cas fortuits, de contrastes et d’oppositions, exige de plus en plus chez l’homme un effort puissant et réfléchi, des émotions équilibrées, une science éprouvée, surtout personnelle, c’est-à-dire consciente dans son organisation et dans ses applications les plus générales. Il faut donc habituer petit à petit l’enfant à savoir, comme dit Jacotot, ce qu’il sait, ce qu’il sent, ce qu’il fait. Il n’est pas possible, il n’est pas nécessaire de déterminer pour tous les enfants, et, à plus forte raison, pour chaque enfant, et pour chaque objet d’instruction et d’éducation, la part, toujours proportionnée au développement physique et mental, qu’on peut faire à la conscience et à la réflexion. Il suffit d’être prêt à saisir les occasions opportunes d’exciter son intérêt et de fixer son attention sur l’une ou l’autre de ses innombrables connaissances ou habitudes inconscientes. L’essentiel est, non pas qu’il fasse toutes choses, ni même le plus grand nombre de choses, avec une application réfléchie, mais tous les jours un petit nombre de choses ; c’est le seul moyen de se faire un riche fonds de ressources disponibles pour les cas nouveaux et difficiles. Il est désirable que le jeune enfant lui-même, tout en élargissant dans tous les sens l’horizon de son esprit, apprenne, en les heurtant du front, à en connaître les limites naturelles. L’effort, qui lui est indispensable, lui sera facile, si nous savons prendre pour nous la moitié de la peine.

Bernard Perez.