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TANNERY. — le concept scientifique du continu

mais[1] il nie la grandeur de l’un quelconque des éléments de la pluralité infinie, parce qu’au-dessous de telle grandeur que l’on prendra, il y en aura toujours une autre, en raison de la division à l’infini ; après l’avoir prouvé, il montre que la grandeur est nulle par la raison que chacun des éléments de la pluralité est un et identique à lui-même. Thémistius dit que Zénon prouve l’unité de l’être par la raison qu’il est continu et indivisible, car s’il se divisait, il n’y aurait pas d’unité rigoureuse en raison de la division des corps à l’infini. Mais Zénon semble plutôt nier là pluralité. »

« Après[2] avoir montré que « si l’être n’a pas de grandeur, il n’est pas, » Zénon ajoute :

« S’il est, il est nécessaire que chaque être ait une certaine grandeur, une certaine épaisseur, et qu’il y ait une certaine distance entre ce qui en lui offre une différence réciproque. On dira la même chose du précédent (τοῦ προύχοντος, la partie de cette chose qui la précède comme petitesse, dans la division par dichotomie). Ce précédent aura aussi une certaine grandeur et sera lui-même précédé. Ce qu’on a dit une fois, on pourra toujours le répéter ; il n’y aura jamais de la sorte un terme extrême, où il n’y ait pas de parties différentes l’une de l’autre. Ainsi, s’il y a pluralité, il faut que les choses soient à la fois petites et grandes, et tellement petites qu’elles n’aient pas de grandeur, tellement grandes qu’elles soient infinies. »

Simplicius croit avoir sous les yeux le texte même de Zénon ; il le donne, dit-il, κατὰ λέξιν ; mais l’authenticité de l’ouvrage qu’il possédait est assez suspecte, si comme le remarque Zeller, Alexandre d’Aphrodisias, Porphyre, Proclus ne l’ont pas connu, si Eudème lui-même n’en parle que par oui dire. D’ailleurs l’ouvrage de Zénon était probablement dialogué, et le texte de Simplicius n’offre aucune trace de dialogue. Il est donc assez probable que le commentateur d’Aristote ne possédait qu’un résumé de la polémique de Zénon, et quoique ce résumé paraisse fidèle, nous ne sommes nullement forcés de le regarder comme rigoureusement exact.

En reprenant la suite des raisonnements indiqués, on reconnaît d’ailleurs que Zénon ne prouve nullement en fait que les choses soient en même temps infiniment petites et infiniment grandes. En réalité, il enferme son interlocuteur dans un dilemme. Admettant la

  1. Je traduis sur l’édition de Diels (page 139), qui apporte d’importantes corrections au texte antérieurement connu, c’est-à-dire à celui qui se retrouve dans les citations de Zeller.
  2. Phys., 306, édit. Diels, p. 141.