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ANALYSES.p. rée. Die Entstehung des Gewissens.

en réalité à l’Introduction et pourrait porter le titre de Préliminaires. Il y est traité de la critique des systèmes des philosophes, de la méthode des nouvelles recherches, et je ne trouve ici rien à reprendre aux vues de l’auteur, si ce n’est qu’il laisse subsister une certaine confusion entre ce qui est l’histoire et ce qui est la morale. « L’éthique, dit-il, est essentiellement une science historique ; l’histoire de la conscience en est l’explication. » Cela ne me paraît pas tout à fait juste. Il y a dans l’éthique une partie descriptive et une partie abstraite, ainsi qu’en toute science, et, si l’on veut, en botanique, pour prendre en exemple une science où les faits à décrire et à expliquer se présentent sous la forme évolutive.

Lorsque le botaniste a ajouté à la description des espèces vivantes celle des espèces paléontologiques ou de passage, il n’a pas achevé pour cela l’étude du monde végétal et il essaye de déterminer les conditions physiologiques générales qui président à tous les phénomènes possibles d’organographie. De même le moraliste n’a pas épuisé son sujet quand il a décrit les faits de conscience en leur état actuel et en leur procès ; il lui reste à donner une définition de ces faits qui en enferme les caractères variables, qui sorte de la description des faits mêmes et finalement en éclaire toute l’histoire. Si d’ailleurs je reproche à M. Paul Rée de n’avoir pas bien saisi cette distinction entre la partie descriptive et la partie abstraite de la science, j’ajoute aussitôt que la nécessité de l’établir s’est néanmoins imposée à son esprit, et qu’il y a obéi, tout en paraissant la négliger. Le deuxième livre de son ouvrage — L’origine des éléments de la conscience dans l’espèce — ne tranche-t-il pas, en effet, par le caractère « historique » qu’il y attribue, sur le troisième livre — L’origine de la conscience dans l’homme individuel dont — le caractère serait « psychologique », théorique ?

Et de fait M. Paul Rée va conclure de ses investigations que l’obligation morale est de la nature d’un jugement ; cette définition (je l’ai mise sous une forme un peu différente de celle de l’auteur) devra convenir et convient pour chacun des états historiques de la conscience ; elle dépasse la pure description et elle est explicative. Mais nous sommes à présent au cœur de l’ouvrage ; il le faut brièvement analyser.

La vengeance a précédé partout la peine punissante, et la thèse de M. Paul Rée, appuyée des informations diverses que nous offrent les récits des voyageurs et les vieux codes sur les mœurs des sociétés primitives, sa thèse, dis-je, est d’abord de nous montrer, contre les philosophes comme Kant, contre les juristes comme Köstling ou Ihering, que la vengeance ne signifiait pas le moins du monde, au début, une réaction naturelle contre l’injustice soufferte. La partie historique de son ouvrage affecte tout de suite, on le devine, un caractère explicatif, et l’on pourrait comparer sa théorie de l’évolution morale de l’espèce humaine sous l’influence des mobiles qu’il va nous dire à celle de l’évolution des êtres, selon le transformisme, sous l’influence des facteurs appelés sélection, accommodation au milieu, etc.