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Bref, l’analyse a ouvert le regard sur un système de prémisses à l’état latent, sur lesquelles repose l’expérience et toutes affirment quelque chose de non empirique, non expérimental. On peut les appeler les anticipations de l’âme, anticipationes mentis. Bacon a tort de les prendre en mauvaise part. Quand Bacon veut que rien ne soit anticipé, que rien ne soit tiré que de la nature des choses, c’est une illusion utopique dont l’impossibilité est manifeste. Les maximes citées en sont la preuve et il y en a partout dans chaque portion de la science. Ces lois sont anticipées, supposé qu’elles soient objectives pour toute expérience, qu’elles soient contraignantes, elles n’en sont pas moins absolues. Ce sont toujours des anticipationes mentis inévitables.

Or, cela nous force à revenir sur tout ce qui a été dit plus haut dans la classification et l’examen des théories et à y introduire des modifications nécessaires.

Mais auparavant n’y a-t-il pas ici une objection à résoudre ? Ne peut-on pas nous dire que l’on n’a pas pénétré jusqu’aux racines mêmes de l’expérience, ni scruté la vraie origine de ces maximes ? On verrait alors qu’elles-mêmes dérivent de l’expérience. Au lieu de cela, nous voilà revenus aux idées innées, au νοῦς ποιητίκος d’Aristote, etc. On ouvre la porte aux spéculations dont on a tant abusé.

Le problème est-il, comme l’auteur le prétend, tout à fait étranger à la question qu’il traite ? On pourra n’être pas de son avis. Quoi qu’il en soit, il l’écarte tout à fait par cette distinction réelle sans doute, mais non aussi absolue qu’il le croit, de la question théorétique de la connaissance et de la question psychogénique. Quant à lui il ne veut prendre nullement part dans une querelle qui divise de tout temps les idéalistes et les sensualistes. Pour lui il ne s’agit que de savoir si en réalité de telles maximes existent, si elles ont le caractère et le rôle qu’il leur assigne. Quelles viennent ou non des sens, du dehors ou du dedans, peu importe, il suffit d’avoir montré que sans ces maximes transcendantes il n’y a pas de sciences, pas d’expérience, rien de certain, pas de garantie des lois du monde et de l’ordre qui y règne. Théoriquement voilà le vrai, psychologiquement en est-il autrement ? Il n’en veut rien savoir, en tous cas c’est intervertir l’ordre des termes, faire dépendre le premier du second, mettre avant ce qui est après, ὑστερον πρότερον. Malgré leur transcendance, ces maximes ont-elles une valeur réelle et une certitude objective ? tout est là. La théorie sensualiste n’a pas le droit d’élever son arrogante prétention de faire dépendre leur valeur de leur application scientifique. C’est du scepticisme dogmatique.

L’objection écartée, quelle est la conséquence finale ? Ce n’est ni plus ni moins qu’un renversement ou au moins une restriction considérable dans l’ordre des théories. Il est clair que la classification est défectueuse, Elle repose sur une erreur populaire. Si l’on veut entendre par théories du premier ordre des théories de pure observation, où les faits seuls sont consultés, où rien de transcendant n’existe et ne s’introduit, il n’y