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ANALYSES.o. liebmann. Die Klimax der Theorien.

substance, de loi, etc., qui viennent de l’esprit et dont l’expérience ne peut se passer. Il y a donc ici nécessité de rechercher si, dans cette épuration totale ou séparation des idées, des principes et des hypothèses, ce qu’on nomme expérience elle-même peut subsister, si au moins elle n’est pas réduite à un remarquable minimum. Il en serait peut-être comme de ce médecin qui tuait tous ses malades pour n’avoir pas à les guérir. Y a-t-il en effet une pure expérience ? Si elle existe, qu’est-elle ? Ses conditions seraient une série d’éliminations qui ne lais seraient rien subsister dans l’intelligence, idola specus, idola tribus ; etc. Il ne resterait alors rien que d’observable ; l’exécution doit être radicale : rien d’imaginé, rien de conçu, rien d’interprété, rien de supposé : mais ce procédé de purification où conduit-il ? à tout décomposer, à tout réduire en matériaux disséminés, à mettre l’observation en face d’un cadavre pulvérisé. Là est l’erreur de Bacon, celle de Locke également. Qu’on y songe, le patient, c’est l’esprit humain ; c’est lui qui devient le cadavre réduit en poussière.

Comment éviter ce résultat, maintenir la vie ? Ce moyen, le voici.

Il existe un système de ligaments, d’artères et de nerfs qu’on a inconsidérément coupés et qui doivent rester intacts si le patient doit rester en vie. Pour parler sans figures, si l’on élimine, pour obtenir une pure expérience, les faits subjectifs de la raison contenus dans l’expérience ordinaire ou scientifique, on a une expérience désordonnée, faite au hasard, un agrégat de perceptions discontinues. Le résultat est une expérience à peu près nulle ; or, une analyse exacte fait rencontrer un système de prémisses non empiriques, s’élevant au-dessus de toute observation possible, dont l’application exacte aux données de l’expérience s’appelle l’expérience scientifique. Ces prémisses servent à établir l’enchaînement des données de la perception sensible, de leur nature isolées ; elles constituent un procédé multiple d’interpolation (le mot pris au sens scientifique). Ces maximes théorétiques d’interprétation de la science expérimentale, l’auteur en énumère et décrit les principales : ce sont 1o le principe de l’identité réelle ; 2o le principe de la continuité de l’existence (constance des lois de la nature) ; 3o le principe de causalité ou de la régularité des lois qui régissent les événements du monde réel ; 4o le principe de la continuité des événements.

Ce réseau de liens logiques, de nerfs et d’artères, etc., est ici le fait capital qui rend la science possible.

Quelle conclusion tirer de ce second examen ? Quelles conséquences dérivent de cette nouvelle analyse ? D’abord c’est que l’expérience est un don de la raison, comme l’Égypte est un don du Nil. Il n’y a pas là d’hyperbole. Un idiot peut avoir d’aussi bons yeux qu’un observateur de génie. Ce qui fait la différence, c’est l’emploi de cette haute faculté chez l’un et chez l’autre. C’est un ensemble de fonctions intellectuelles qui coordonnent et complètent les données des sens et de l’expérience et qui, toutes, relèvent de la raison. Elles sont hétérogènes à l’expérience.