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savons que les phénomènes intellectuels sont souvent substituts les uns des autres. Ainsi l’idée tient lieu de la sensation, l’idée abstraite et le mot peuvent tenir lieu de l’idée concrète, etc., et la substitution va bien plus loin qu’on ne l’a cru et elle reste encore non étudiée dans ses derniers échelons. Nous trouvons dans le domaine des faits affectifs une substitution analogue à celle qui a été signalée à propos des faits intellectuels, la passion, le sentiment sont remplacés souvent par d’autres états de conscience qui se substituent à eux et remplissent leur rôle. De même que, quand une image a été employée souvent et rapprochée d’images analogues, elle disparaît de la conscience pour être remplacée par le mot, de même l’émotion et le sentiment peuvent être remplacés quand ils sont usés momentanément et définitivement par un substitut particulier qui est une tendance affective, quand ce substitut a pour effet de déterminer un acte, si elle n’est pas contrariée, et un signe affectif quand il doit entrer seulement dans la formation d’autres états de conscience. Par exemple, il est naturel d’avoir faim dans l’état de santé aux heures des repas quand on se dispose à manger, mais si l’on est vivement préoccupé, la faim disparaît, elle n’est pas sentie par la conscience comme faim, on mange cependant et autant que l’on aurait fait (en admettant que la préoccupation ne soit pas trop vive) et la faim est remplacée en ce cas par un état de conscience plus vague, moins défini et moins perceptible qui remplit le même rôle qu’elle : c’est une tendance affective. Il en est de même pour bien des actes qui ont été accomplis d’abord sous l’influence d’un sentiment quelconque, — par l’effet de l’habitude ou de circonstances particulières, ils sont accomplis sans être précédés du sentiment qui les précède d’ordinaire et qui est remplacé soit par une tendance machinale, soit ar un phénomène affectif assez vague qui est ce que j’appelle tendance affective. Le signe affectif est de nature analogue, mais n’aboutit pas directement à un acte. J’ai déjà indiqué un des cas dans lesquels on peut le rencontrer. Si nous avons ressenti une impression très forte et qui persiste, nous pouvons nous distraire partiellement, mais nous sentons toujours en nous non pas l’impression première, mais un élément qui la remplace momentanément et qui donne un ton particulier à la conscience, on se sent tout autre qu’on ne l’est en général. Un signe mental de ce genre, c’est la mauvaise disposition que nous laisse, envers un individu, une impression pénible éprouvée autrefois et peut-être oubliée depuis. Dans ce dernier cas, le signe subsiste, mais il n’est plus compris, sa signification est perdue pour nous.

On voit quels sont les principaux groupes de phénomènes affectifs ; on s’étonnera peut-être que je ne parle pas davantage du plaisir et