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les obstacles ont encore pour un certain temps la même efficacité.

Nous pouvons comprendre aussi comment il se fait que le mouvement excite parfois le sentiment qui le précède en général. C’est un fait bien connu que, en faisant prendre aux membres une certaine attitude, on fait prendre par cela même une certaine tournure à l’état d’esprit concomitant. Il faut voir dans ce fait un résultat de l’association des mouvements : une position expressive suggère une tendance à un système particulier de mouvements. De cette tendance plus ou moins contrariée naît le sentiment produit par suggestion. Enfin il est facile de s’expliquer que le sentiment soit souvent détruit quand il est satisfait. Une tendance pleinement satisfaite n’existe plus et par conséquent ne peut être arrêtée et produire ainsi le phénomène psychologique affectif.

V. Évolution du sentiment.

Maintenant que nous avons vu les causes générales des phénomènes affectifs il nous reste à nous occuper de l’évolution générale de ces phénomènes et du rôle qu’ils jouent dans le fonctionnement de l’esprit humain. Pour nous occuper de l’évolution nous rencontrons d’abord des obstacles considérables. En effet, si nous voulions étudier les premiers débuts de l’émotion et ses premières formes, il faudrait étudier les formes animales inférieures, et là, l’observation est difficile, les résultats acquis peu nombreux, peu considérables et incertains, — ou bien nous forger un animal de fantaisie analogue à la statue de Condillac, et déterminer a priori la manière d’être et de réagir de sa sensibilité. Nous n’arriverions ainsi qu’à des résultats par trop hypothétiques. Il vaut encore mieux, par conséquent, nous adresser à un organisme formé et examiner la manière dont naissent et évoluent, non pas le sentiment en général, mais tel ou tel sentiment particulier, ce qui nous permettra d’arriver à des conclusions générales sur le rôle et l’évolution des processus affectifs.

Si nous prenons l’homme pour sujet de nos études, nous voyons que la genèse des sentiments varie beaucoup suivant les circonstances qui font naître les tendances à l’action dont l’arrêt détermine l’apparition du phénomène affectif. Nous voyons de plus que les impulsions de ces différentes tendances sont très différentes dans leurs manières de se révéler. Sur ce dernier point nous pouvons remarquer que certains besoins se satisfont continuellement, de sorte que la tendance qui les produit n’est jamais enrayée à l’état normal (circulation, respiration, etc.) ; d’autres, au contraire, ne sont satisfaits qu’à de certains intervalles, de sorte que la tendance à les satisfaire,