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PAULHAN. — les phénomènes affectifs

n’aboutissant généralement pas à l’acte au moment où elle commence à se produire, ou au moment où elle commencerait à se produire, donne par son arrêt l’occasion au sentiment de naître et de se développer (faim, soif, appétit sexuel, etc.), c’est ce qui arrive non seulement pour certains exercices organiques, mais aussi pour les besoins les plus élevés qui peuvent se trouver d’ailleurs aussi, mais plus rarement, dans le premier cas (amour, sympathie, amour du beau, du bien, etc.). Sur le premier point, nous pouvons remarquer que les tendances qui donnent naissance aux sentiments sont soumises, elles aussi, à une évolution qui exerce une certaine influence sur le développement des sentiments et des émotions. Ainsi non seulement ces tendances une fois nées et développées sont capables, par la manière dont elles se manifestent et dont elles peuvent être satisfaites, d’exercer des influences différentes sur la genèse des sentiments, mais encore leur genèse à elle et leur manifestation première, selon les conditions dans lesquelles elle s’opère, peut changer complètement le mode d’apparition des phénomènes affectifs. Nous pouvons en examinant quelques cas particuliers nous rendre compte des différences dont il s’agit. Prenons par exemple le cas du fumeur ; nous avons affaire ici à un véritable besoin, le besoin de fumer, besoin qui atteint un degré de force tel que sa non-satisfaction peut amener de graves désordres dans l’organisme et qui donne lieu à des phénomènes affectifs très marqués. Si nous le prenons au début, nous voyons que l’acte ici précède souvent le phénomène affectif. L’impulsion, en effet, qui conduit pour la première fois à l’acte de fumer n’est pas du tout la même que celle qui y conduit au bout d’un certain temps de pratique. La première fois l’impulsion se compose principalement d’une tendance à l’imitation, d’une vague curiosité, d’un désir d’indépendance, de l’attrait du fruit défendu, et, quand l’habitude est prise, au contraire, l’impulsion vers l’acte de fumer est surtout traduite psychiquement par le désir de renouveler l’impression éprouvée déjà. L’impulsion est alors complètement spécialisée. Dans les premiers cas au contraire elle pouvait conduire aussi bien à d’autres actes qu’à celui de fumer, — par exemple à aller au café prendre des liqueurs. C’est souvent, en ce cas, l’exemple qui détermine les premiers actes qui, une fois produits, ont une tendance à se répéter, à moins de répugnances organiques profondes. Dans ce cas particulier où nous examinons le développement de ce besoin de fumer et des phénomènes affectifs qui s’y rattachent, nous trouvons donc, à l’origine, une certaine impulsion vers une classe d’actes assez vaste. L’habitude, l’exemple, quelques dispositions personnelles aussi donnent à cette tendance générale la forme d’une tendance particulière vers un acte