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ou vers plusieurs actes spéciaux. C’est alors que la tendance, n’étant généralement pas satisfaite au moment où elle va commencer à se faire sentir, donne lieu à ces phénomènes particuliers de désir qui deviennent très violents quand la satisfaction tarde trop à arriver. D’autres fois, au contraire, il arrive que le désir précède l’acte, que le sentiment est antérieur aux satisfactions de la tendance dont l’arrêt le produit. Il s’agit en ce cas généralement des tendances complexes dont l’imagination peut se représenter la satisfaction grâce aux éléments que l’expérience lui a déjà fournis. Tel est le cas pour l’amour, certaines formes d’ambitions, etc.

Si nous tâchons de trouver les caractères généraux des différences que nous venons d’examiner, nous voyons que ces caractères résident dans le degré plus au moins grand d’organisation et de spécialisation des tendances, ou des besoins. Une rencontre non systématisée des différentes tendances existant déjà peut produire un acte ; une nouvelle tendance tend alors à se former, à se développer, à s’organiser, à former un système avec les autres tendances de l’organisme, mais elle n’existait pas avant, l’acte a créé la tendance : en ce cas les phénomènes affectifs du désir et du sentiment sont postérieurs aux premiers accomplissements de l’acte qui les satisfait. Quand il s’agit au contraire d’une combinaison systématique de tendances déjà organisées, le désir précède généralement l’acte. C’est ce qui arrive aussi quand des expériences partielles nous ont donné connaissance des divers éléments qui composent la tendance qui va commencer à se manifester. Rappelons-nous toutefois que quand l’organisation devient trop forte et trop complète, le phénomène affectif cesse, absolument, comme il ne se produit pas quand l’organisation est trop faible.

Si nous nous placions au point de vue de la théorie évolutionniste nous pourrions remarquer que, à un point de vue tout à fait général, c’est le premier cas qui se produit d’abord et que, par conséquent, l’acte précède généralement le désir ; en effet, la systématisation, l’organisation n’est que le produit de nombreux tâtonnements, d’expériences innombrables et d’une sélection qui permet d’éliminer soit les organismes, soit les tendances qui se refusent à l’harmonie, non pour toujours et d’une manière absolue, mais relativement et dans certaines circonstances. Ainsi la conscience du but d’une tendance n’apparaîtrait que quand la tendance serait formée déjà. L’acte précéderait le désir. Nous trouvons ici une nouvelle occasion de remarquer le rôle secondaire de la conscience dans l’homme. En effet nous voyons que bien souvent nous n’avons pas conscience de nos tendances, soit que celles-ci soient trop organisées déjà, soit qu’elles