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NOTES ET DISCUSSIONS


UNE HALLUCINATION À L’ÉTAT NORMAL ET CONSCIENT

Dans le n° de septembre de la Revue, figure une note de M. Ch. Richet sur les rapports de l’hallucination avec l’état mental. C’est par l’hallucination que, jusqu’à preuve du contraire, M. Richet est porté à expliquer les soi-disant apparitions. Quant à moi, je ne pense pas que la preuve du contraire soit jamais donnée ; mais je conçois parfaitement que certains esprits croient fermement aux fantômes et aux revenants. Seulement leur foi, toute naturelle qu’elle est, n’établit rien. Comme le dit très bien M. Richet, tant que les ombres n’impressionneront pas une plaque photographique ou ne remueront pas des objets uniquement matériels, leur apparition peut être mise sur le compte d’une illusion plus ou moins maladive.

Voici, à l’appui de cette opinion, un fait qui m’est personnel, et sur lequel, au moment même, j’ai fait toutes les réflexions précédentes et d’autres encore.

J’ai perdu ma mère en janvier 1870 ; elle était dans sa quatre-vingt-quatrième année, et je ne l’avais jamais quittée. Quoique dans l’ordre des choses, sa perte m’a été des plus sensibles et je ne pouvais me faire à l’idée que nous étions séparés pour toujours. Fréquemment je la revis dans mes rêves, souvent comme vivante, quelquefois comme morte, mais toujours agissante. Un jour, à mon réveil, je l’aperçus assise à mon chevet, dans l’attitude où la représente une photographie très bien faite que je possède d’elle. Elle me regardait avec des yeux extraordinairement brillants. Elle les avait conservés très vifs jusqu’à son dernier jour, mais cette fois leur éclat était vraiment surnaturel. La bouche semblait prête à me parler. Cette apparition dura quelque temps, peut-être cinq minutes, peut-être davantage encore, et j’avais la pleine conscience que c’était une hallucination. Seulement l’illusion m’était douce et chère, et j’essayai de la prolonger le plus longtemps possible. Quand elle eut disparu ou à peu près, je communiquai mes impressions à ma femme, preuve que j’étais parfaitement éveillé.

Mais ce que ce phénomène, qui en soi doit être assez commun, présente, à mon sens, de particulièrement intéressant, c’est que je fis certaines observations curieuses : par exemple, que l’image ne bougeait nullement et s’éteignait peu à peu tout en conservant sa forme ; et puis —