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E. NAVILLE. — la doctrine de l’évolution

mistes qui, par la plume de Leopardi, de Schopenhauer et de M. de Hartmann, renouvellent, dans l’Europe contemporaine, l’ancienne complainte du Bouddha indien. C’est un spectacle curieux que le choc actuel d’un optimisme trop facilement satisfait, et des sombres doctrines qui sont l’expression de la désespérance.

L’optimisme, après avoir atteint son apogée philosophique dans la doctrine de Leibniz, s’est manifesté avec éclat dans les espérances relatives à l’avenir de la société chez plusieurs écrivains du xviiie siècle. Les déceptions infligées par les événements à de trop brillantes espérances sont sans doute l’une des causes de la recrudescence du pessimisme, recrudescence qui est l’un des caractères distinctifs de l’époque actuelle. Quoi qu’il en soit, l’antithèse violente de l’espérance de certains philosophes et du désespoir mélancolique qui se manifeste dans les écrits de quelques auteurs contemporains est peut-être la preuve que les deux doctrines qui expriment ces sentiments contradictoires ont déchiré une vérité totale dont chacune n’a conservé qu’une des parts. Quelle serait cette vérité ? Ce n’est pas ici le lieu de le dire ; il me suffisait de conclure, quant à la deuxième thèse des partisans de l’évolution, que l’observation des faits humains révèle incontestablement un progrès, mais ne justifie pas l’idée que le progrès soit une loi absolue, réglant à la fois l’ensemble et le détail des phénomènes. Passons à la troisième thèse, celle de l’unité des éléments qui constituent l’univers.

Deux sciences relativement récentes : la physique et la biologie, se trouvent au point de départ du mouvement de la pensée qui a produit cette affirmation. Les grandes théories de la physique moderne, appuyées sur des observations certaines et des inductions légitimes, ont substitué à l’idée d’une pluralité d’agents matériels celle de l’unité des forces physiques, les phénomènes considérés objectivement se réduisant tous au mouvement et à ses transformations. Dans de récentes théories d’histoire naturelle, l’ancienne doctrine de la diversité essentielle des espèces est remplacée par l’affirmation que toutes les faunes et toutes les flores proviennent, par une série continue de générations, d’organismes primitivement semblables. En partant de là, des esprits plus hardis que prudents sont arrivés à la pensée que les phénomènes de tous les ordres : mécaniques, biologiques, psychologiques, ne sont que les manifestations diverses d’un même élément. Cette affirmation est-elle le résultat d’observations sérieuses et d’inductions légitimes ? Pour préciser la question, la science, mise en présence de la diversité des phénomènes que l’observation nous révèle, rend-elle compte, d’une manière plausible, du passage d’un ordre de phénomènes à l’autre ?