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PAULHAN. — les phénomènes affectifs

pas croire que nous ayons là un critérium infaillible, il s’en faut même de beaucoup, et cela pour plusieurs raisons.

Il faut considérer que l’acte n’est pas le résultat des seules tendances de l’organisme, mais qu’il est le produit de l’organisme et des circonstances. Il en résulte que bien souvent les actes ne nous renseignent que sur les tendances qui peuvent se développer librement dans le milieu où nous avons vu l’organisme agir. Ainsi les actes d’un homme ne nous révèlent parfois que la partie la plus superficielle de sa nature. On a trouvé dans un lac des environs de Mexico certains animaux, les axolotls, qui vivaient, se reproduisaient et mouraient sous forme de têtard à branchies extérieures. On en rapporta un certain nombre à la ménagerie du muséum d’histoire naturelle de Paris et, là, on s’aperçut que plusieurs d’entre eux se transformaient complètement ; leurs branchies s’atrophiaient et ils devenaient un animal amphibie respirant par des poumons. On peut citer des phénomènes inverses. « Les tritons vivant dans l’eau pendant la première période de leur vie respirent par des branchies, plus tard ils se tiennent habituellement sur le bord des mares ; les branchies disparaissent, des poumons les remplacent. Cependant, si l’on force ces animaux à rester dans l’eau, la métamorphose ne s’accomplit pas[1]. » Il se produit chez l’homme des phénomènes analogues. Souvent les tendances organiques sont contrariées par les circonstances et ne peuvent se manifester par des actes. Quelquefois ces tendances restent ignorées de tous, même de celui qui les possède, quelquefois elles se manifestent par des phénomènes affectifs, de l’ennui, des désirs, etc., quelquefois aussi par des paroles. En ce cas l’observation des sentiments et des paroles peut remplacer l’observation des actes ; l’observation de la physionomie, des gestes divers, peut donner aussi quelques indications. Il arrive encore que les tendances les plus fortes et les plus profondes sont vaincues par une tendance passagère mais que des circonstances passagères ont rendu vive et violente et ont fait aboutir à l’acte.

Enfin, il y a d’autres cas dans lesquels nous trouvons un certain désaccord entre les tendances et l’activité. Les tendances sont trop faibles pour se traduire en actes. M. Ribot a étudié cette situation au point de vue de la pathologie dans les Maladies de la volonté. Mais le même phénomène se présente souvent aussi dans la vie normale, bien qu’à un moindre degré d’intensité. Peut-être y a-t-il enfin des cas dans lesquels, par suite d’une incomplète coordination des appareils moteurs et des appareils dont le fonctionnement s’accompagne

  1. Charles Martins, Lamarck, sa vie et ses œuvres.