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PAULHAN. — les phénomènes affectifs

systèmes tend, par sa nature propre, à introduire la systématisation dans l’univers où il vit, en réagissant selon la structure de ses nerfs et de ses divers appareils et selon la nature des impressions qu’il reçoit de l’univers. Le monde manifeste une certaine tendance à l’harmonie[1] augmentée par l’homme que l’univers a produit. Dans l’homme lui-même, les sensations tendent à déterminer des actes, des tendances s’établissent ainsi qui, dans une certaine mesure, tendent à s’harmoniser entre elles et à s’harmoniser avec le monde. Ces tendances se groupent, s’associent, luttent pour l’existence, des systèmes plus compliqués se forment qui ont toujours pour effets réels et possibles des actes plus compliqués, plus harmonieux, et aussi plus harmonisants par rapport aux choses extérieures. Quand ces tendances, ou ces systèmes de tendances ne peuvent aboutir sans aucun obstacle à l’acte, il se produit des faits de conscience, quand l’obstacle a une certaine force, ou quand l’impulsion est très vive, quand les éléments psychiques concourant sont nombreux, ce phénomène de conscience est un sentiment, accompagné, selon le degré de satisfaction qu’il reçoit, selon la résistance des obstacles, de plaisir ou de peine. Ces sentiments évoluent comme les tendances dont ils sont l’expression psychologique. Ils acquièrent plus d’unité de complexité, plus de force, plus de raffinement. Ils disparaissent enfin de la conscience, soit quand l’impulsion manque, c’est-à-dire quand la tendance disparaît momentanément ou définitivement, soit quand l’impulsion arrive au terme sans obstacle, c’est-à-dire quand la tendance est définitivement organisée, ou l’est au moins suffisamment pour ne plus donner lieu qu’à des phénomènes intellectuels. L’évolution du caractère ou des caractères qui se trouvent dans chaque homme se fait d’une manière analogue à celle des tendances et des sentiments, le caractère n’étant qu’un groupe de tendances harmonisées, selon les lois d’habitude, d’association et de sélection. Les phénomènes affectifs accompagnant la formation des tendances accompagnent nécessairement aussi, dans les mêmes conditions, la formation du caractère, mais ils ne sont pas eux-mêmes le caractère, ils ne sont que les signes des tendances organiques qui constituent le véritable caractère, la véritable personnalité, caractère et personnalité qui se mani-

  1. Ai-je besoin de faire remarquer encore que je prends simplement comme un fait cette tendance à l’harmonie sans chercher ici à l’expliquer. La vraie explication en tout cas ne serait pas là où on croit la trouver en général. Le plus mauvais moyen d’expliquer l’harmonie du monde étant de l’expliquer par l’harmonie d’un être supérieur hypothétique, encore plus difficile à expliquer que le monde lui-même.