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d’un mouvement réellement exécuté, mais même celle d’un mouvement simplement voulu ; en langage physiologique, la sensation de mouvement paraît directement liée à l’innervation motrice. C’est déjà ce que pensait l’illustre physiologiste Jean Müller (Manuel de physiol. de l’homme). « Nous avons, a-t-il écrit, une notion fort exacte de la quantité de force nerveuse partant du cerveau, qui est nécessaire pour produire un certain mouvement… Il serait fort possible que l’appréciation du poids et de la pression dans le cas où nous soulevons ou résistons, soit, en partie du moins, non une sensation dans le muscle, mais une notion de la quantité de force nerveuse que le cerveau est excité à mettre en jeu[1]. »

Mais on comprend que cette idée ne peut plus être admise, si l’on vient à démontrer que la conscience du degré de la contraction ou « conscience musculaire », le sentiment de l’ « énergie déployée », comme dit A. Bain, est, non pas antérieur, mais consécutif au mouvement lui-même ; par suite le sens musculaire est réductible à des sensations que l’on pourra appeler musculaires. Pour le prouver, il suffira de montrer la réalité de ces sensations et qu’elles rendent parfaitement compte de toutes les notions dépendant du « sens musculaire » ; et la théorie acquerra encore plus de force, si l’on voit que, ces sensations étant abolies, nos notions de résistance, de poids, etc., disparaissent.

Mon but n’est pas d’analyser les expériences faites sur ces divers points ; on en trouvera d’ailleurs quelques-unes suffisamment indiquées dans l’article, cité plus haut, de M. Ribot. Je rappellerai seulement qu’il résulte de toutes ces expériences[2] que nos perceptions de mou-

  1. Il me semble inutile d’insister sur ce point, M. Ribot ayant donné dans la Revue, il y a quelques années (Le rôle psychologique des mouvements, Revue philosophique, octobre 1879), un bon résumé critique des principaux travaux relatifs à l’existence du sens musculaire.
  2. Les plus importantes peut-être sont dues à D. Ferrier (Functions of the Brain, 1876), qui a surtout prouvé que l’appréciation musculaire ne dépend pas de l’acte volitionnel, en montrant que cette appréciation a lieu de la même manière quand on fait contracter artificiellement les muscles par l’excitation électrique. Des expériences analogues avaient été faites déjà par Bernhardt (Zur Lehre von Muskelsinn, Arch. für Psychiatrie und Nervenkrankheiten, 1872), mais, chose étonnante, Bernhardt en avait donné une interprétation tout opposée à celle que semble indiquer la logique. « Bernhardt paraît avoir cette opinion assez étrange, dit M. W. James dans son remarquable travail sur le sentiment de l’effort (The Feeling of effort. Boston), que ce qui est réfuté par ses expériences, c’est l’existence des sentiments musculaires afférents, non celle des sentiments de l’innervation efférente, sans doute parce qu’il pense que le tressaillement particulier de l’électricité doit dominer tous les autres sentiments afférents de ce côté. Mais il est bien plus naturel d’interpréter ces résultats dans l’autre sens, même indépendamment de la certitude qu’on a, sur d’autres preuves, de l’existence de sentiments musculaires passifs. » C’est précisément la conclusion que D. Ferrier