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facilité à apprendre, à retenir, à imaginer, à juger une chose, quand on en a appris, retenu, imaginé et jugé une autre. Il n’y a donc aucune inexactitude à soutenir qu’on développe, d’une façon générale, les activités de l’esprit, la mémoire, l’attention, l’imagination ou le jugement. Et c’est précisément en cela que consiste la vérité de la maxime souvent si mal comprise, qu’à l’école on apprend seulement à apprendre. Il vaudrait pourtant mieux dire : on apprend pour apprendre.

L’auteur a fort bien montré l’importance morale de l’éducation, ou plutôt de l’instruction scientifique. Il n’a pas autrement parlé de l’éducation directe du caractère, car il y en a une, et sur laquelle il aurait eu beaucoup à dire. L’éducation du caractère en lui-même est un difficile problème que les progrès actuels de la psychologie feront vite avancer vers sa solution. À cette question est connexe la non moins difficile question des rapports du sentiment avec la conduite. Sans doute, la nature des idées n’est pas indifférente à la production de tels ou tels sentiments, et il est certain qu’à cet égard on doit beaucoup attendre d’une instruction scientifique coulant à pleins bords pendant quelques générations. Mais il est vrai aussi que toute idée mise dans l’esprit ne se transforme pas nécessairement en sentiment, et malheureusement encore plus vrai qu’une idée juste ou grande peut engendrer des sentiments divers suivant les dispositions variables du sujet qui la possède. Ainsi, pense-t-on que les sollicitations à la débauche soient les mêmes pour tous les hommes, et à tous les moments de la vie du même homme, soient qu’elles proviennent d’un livre, d’un journal, d’un dessin, d’une œuvre artistique ou prétendue telle ? Croit-on que ces exhibitions quotidiennes qui se font dans les grandes villes des scènes du crime et de la dépravation, produisent le même effet sur des jeunes gens bien élevés, issus de familles honorables et aisées, et sur cette classe si nombreuse d’adolescents ignorants, nés vicieux, mal entourés, mal conseillés, qui s’accoutument à l’image, et par suite à l’excitante tentation du crime sous toutes ses formes ? C’est là un des côtés graves de l’éducation du sentiment, qui s’impose aux méditations des philosophes. Cette éducation a beaucoup d’autres aspects intéressants, et je signale à l’attention de M. Fornelli cette lacune de son livre : il pourrait si bien la combler dans un autre !

Bernard Perez.