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variétés

dans le même sens, non sans provoquer, par conséquent, chez le lecteur impartial des réflexions du même genre.

II. L’esclavage qui nous menace. — Un peu d’exubérance et quelque décousu dans le développement n’empêche pas la pensée d’être claire et forte. L’auteur commence par dénoncer l’illusion générale qui nous fait voir dans tous les malheureux des êtres dignes d’intérêt, comme si jamais leur misère n’était le fruit de leurs vices et le juste châtiment de leurs fautes. La pitié, comme l’amour, idéalise son objet ; de tout misérable elle fait a priori une victime, et elle n’imagine pas un instant que les maux dont elle s’émeut aient pu être mérités ; le « pauvre diable » suffit à lui cacher le « mauvais drôle ». Cependant, on ne peut héler un cab dans une rue de Londres, que quelque fainéant ne se précipite pour vous ouvrir la portière, dans l’espoir d’avoir quelque chose pour son obligeance. « Ils sont assurément plusieurs dizaines de mille de cette espèce, vagabondant à travers la ville. Sans travail, dites-vous. Dites plutôt qu’ils refusent le travail, ou qu’ils le quittent dès qu’on le leur procure, Simples propres à rien, qui, d’une manière ou d’une autre, vivent sur ceux qui sont bons à quelque chose, vagabonds et ivrognes, criminels ou en voie de le devenir, jeunes gens à la charge de parents usés par le travail, hommes qui s’approprient les gages de leurs femmes, gredins qui partagent le gain des prostituées… » Quel droit ont ces gens-là au bonheur ? Ne sont-ils pas la preuve, au contraire, qu’une immense somme de misère n’est parmi nous que le résultat nécessaire et normal de l’inconduite ? Cessons donc de crier que toute Souffrance sociale peut être écartée, et que c’est le devoir de tel ou tel de l’écarter. C’est une loi universelle de la nature, et la loi même par laquelle la vie a atteint son niveau actuel, que toute créature qui n’a pas assez d’énergie pour se suffire, doit périe. — Dira-t-on que nous ne sommes pas sans quelque responsabilité, même quand ceux qui souffrent ont mérité leurs maux. Oui, la responsabilité remonte à nos ancêtres, aux législateurs du passé, aux auteurs de la « loi des pauvres », aux philanthropes surtout, qui, pour venir en aide aux indignes et à leur progéniture, ont toujours été accablant de charges générales et locales les braves gens et les travailleurs. De la sorte, on a multiplié sans cesse et aggravé, par une suite de mesures funestes et sous couleur de bienfaisance, les misères inhérentes à la nature humaine.

Mais le mal est fait, où sera le remède ? L’opinion courante le cherche dans la multiplication des mesures artificielles contre la misère ; M. Spencer, au contraire, pense qu’on ne le trouvera qu’en renonçant le plus possible à ces mesures. Bien que sa démonstration soit dirigée spécialement contre la charité légale telle qu’elle existe en Angleterre, elle repose sur des principes généraux et porte contre toute immixtion du pouvoir dans les phénomènes économiques. Il montre que les taxes de tout genre, s’ajoutant nécessairement aux frais de production, ont pour effet inévitable, quoique indirect, d’augmenter le prix de toutes choses et, par conséquent, d’appauvrir tout le monde. Souvent