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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/12

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l’action de ces lois se relâchant sans doute, l’organisme du vivant aboutisse fatalement à la décrépitude et à la mort ?

Ajoutons qu’une loi, si fondamentale qu’elle soit, suppose toujours avant elle une nécessité qui la fonde elle-même. On pense généralement que le déterminisme physico-chimique a son principe dans le mécanisme universel : voilà qui est bien ; mais où sera pour la loi morphologique le principe qui la fonde, et duquel elle peut se déduire ? Si l’on veut tenir compte tout ensemble des enseignements de l’expérience et des exigences de la raison, il faut renoncer définitivement à l’idée d’une loi morphologique. Une loi est quelque chose de trop abstrait et de trop brutal pour expliquer la mobilité, la variété, l’indétermination relative des formes de la vie. Il faut ici recourir à l’idée de quelque chose de plus souple, et en même temps de plus concret, que ne peut être ce que l’on appelle proprement une loi. Ce quelque chose l’expérience psychologique nous le fait bien connaître, c’est la tendance, l’appétit, le désir. Nous voici donc ramenés à chercher dans l’ordre mental le principe de la nature formelle des êtres vivants. Nous aurons, en le faisant, à nous garder du vitalisme ; mais la chose sera facile, à la condition de demeurer fidèle à notre doctrine de l’organisation totale de l’univers par chaque être vivant.

Du moment où le principe de la morphologie vitale est reconnu de nature psychologique, deux hypothèses sont possibles au sujet de ce principe ou bien l’on attribuera la coordination qui se manifeste entre les éléments matériels d’un corps vivant à l’action d’un être métaphysique qui, suivant les uns, sera l’âme pensante elle-même, et suivant les autres, aura une existence à part de cette âme ; ou bien on placera dans la matière elle-même une tendance à s’organiser spontanément. Les raisons qu’on peut faire valoir en faveur de cette dernière opinion contre la première sont très nombreuses et très fortes. Nous ne les énumérerons pas toutes, mais nous en rappellerons une qui, ce nous semble, peut suffire. Il faut admettre nécessairement, ou bien que les éléments du corps vivant sont absolument bruts et inertes, ou bien au contraire qu’il y a en eux de la spontanéité et des tendances. S’ils sont bruts, il est impossible que le principe spirituel dont on nous parle ait sur eux la moindre action ; car s’imaginer qu’un esprit puisse mouvoir une masse inerte comme est l’atome d’Épicure, est une puérilité et un non-sens dès lors, l’hypothèse que l’on fait devient inutile. S’ils possèdent une activité spontanée, cette hypothèse est inutile encore, puisque, du moment où l’on attribue des tendances aux éléments du corps organisé, il n’y a plus aucune raison pour refuser d’admettre que ces tendances