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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/11

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ch. dunan. — le problème de la vie

Nous venons de voir comment le principe organisateur d’un corps vivant peut exercer une influence réelle sur la matière dont ce corps est formé sans troubler en rien l’action des lois physicochimiques ; il nous faut maintenant rechercher ce qu’est ce principe lui-même, et quelle idée on peut s’en faire. CI. Bernard parle d’une idée organique. Cette expression est aussi juste que précise, si CI. Bernard entend seulement dire par là et c’est effectivement sa pensée — que l’être vivant réalise dans la contexture de son corps un certain ordre, comme s’il se conformait à un plan idéal donné d’avance. Quant à prétendre que ce plan, dont la conception ne réside nulle part, agit effectivement pour provoquer sa réalisation par la matière, c’est être dupe des mots et de l’imagination. L’idée organique est un caractère que prend l’être vivant quand il est constitué ce n’est pas la cause qui le constitue or c’est une cause que nous recherchons ici.

Cl. Bernard, avons-nous dit, parle encore d’une loi qu’il appelle morphologique, qu’il oppose à la loi physico-chimique comme un contraire à son contraire, et à laquelle il attribue, comme à cette dernière, une influence efficace sur les phénomènes de la vie. Nous voici cette fois en présence d’une explication positive de la nature formel e chez les êtres vivants. Mais cette explication est-elle admissible ? Cl. Bernard suppose que la forme inhérente aux différentes catégories d’êtres vivants, suivant les espèces auxquelles ils appartiennent, passe des uns aux autres par le fait de la génération. C’est là méconnaitre ce principe fondamental, auquel Cl. Bernard avait paru disposé à se rallier, que l’existence de chaque vivant se confond avec l’existence universelle, et par suite, se condamner, soit à donner aux lois morphologiques une action qui détruise le déterminisme physico-chimique, et à retomber dans le vitalisme, soit à nier ces lois au moment même où on les affirme, en soustrayant complètement les phénomènes à leur influence. Si, comme nous le croyons incontestable, le corps de chaque vivant c’est l’univers tout entier, il est clair que la génération ne peut être qu’une apparence, très bien fondée sans doute, mais à laquelle on aurait tort de rattacher les lois fondamentales de la réalité elle-même. Puis, que de difficultés à voir dans la transmission de la forme vitale de l’ascendant au descendant l’expression d’une loi sui generis de la nature ! Une loi doit être universelle et nécessaire, ou bien elle n’est plus une loi, mais un simple fait contingent. Comment comprendre alors la variabilité des espèces, laquelle est pourtant incontestable, du moins dans de certaines limites ? Comment comprendre qu’il y ait des anomalies et des monstres ? Comment comprendre même que,