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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/14

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rité, c’est qu’elle peut revendiquer le patronage du plus grand métaphysicien des temps modernes non pas que Leibniz y soit arrivé par la voie que nous venons d’indiquer, et en s’appuyant sur la science physiologique alors encore à son berceau c’est par la seule puissance des idées qu’il sut s’élever jusque-là. Mais un tel accord de la métaphysique totalement a priori et de la métaphysique appuyée sur la science expérimentale ne peut qu’accroître le prestige du système auquel toutes deux aboutissent. Vouloir ébranler un édifice si bien fondé paraîtra téméraire, et l’est peut-être en effet. Pourtant nous ne pouvons nous empêcher d’être convaincu que les deux assises sur lesquelles il repose, le mécanisme et la finalité, sont l’une et l’autre ruineuses. Nous allons essayer de le démontrer, en commençant par le mécanisme.

II

Le mécanisme, avons-nous dit, peut servir de base à une conception de la vie qui paraît très satisfaisante. Mais une thèse philosophique ou scientifique ne se justifierait pas suffisamment par le besoin qu’on en a, et par les services qu’elle rend. Il doit y avoir, et il y a effectivement, en faveur du mécanisme, des arguments directs. Ce sont ces arguments que nous devons examiner.

Voici d’abord une raison d’ordre métaphysique « Le mécanisme de la nature, a-t-on dit, est, dans un monde soumis à la forme du temps et de l’espace, la seule expression possible du déterminisme de la pensée[1] ».

Cette raison ne nous paraît pas décisive. En effet, le déterminisme de la pensée veut dire ici cette unité de l’existence universelle qui fait que tous les phénomènes peuvent entrer, sinon en fait, du moins en droit, dans une seule et même pensée, parce qu’ils ne forment, pris tous ensemble, qu’un seul et même univers. Or l’unité prise en ce sens nous y tenons, pour notre part, autant qu’il est possible d’y tenir ; mais peut-être n’est-il pas nécessaire pour l’assurer de la faire résulter d’un concours de phénomènes reliés entre eux par des lois d’un déterminisme inflexible, auquel cas, en effet, le mécanisme serait peut-être inévitable nous espérons même pouvoir montrer bientôt que ce n’est pas à un concours, ni à une corrélation de tous les phénomènes entre eux, qu’est due l’unité de l’univers.

Sur un autre point encore il y aurait, ce nous semble, d’importantes réserves à formuler au sujet de l’argument que nous venons

  1. Lachelier, Du fondement de l’induction, p. 63.