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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/23

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ch. dunan. — le problème de la vie

corps soit effectivement animé de mouvements infinis. La détermination des mouvements attribués à un corps devient alors quelque chose d’arbitraire, et qui peut varier selon le point de vue auquel s’est placé l’esprit.

Que si maintenant l’on demande comment la nature opère cette abstraction de laquelle le mouvement résulte, c’est un point sur lequel il nous serait difficile, pour le moment, d’apporter des éclaircissements mais pourtant nous pouvons faire un rapprochement qui aidera à le comprendre.

Le principe de la connexion universelle des phénomènes est vrai, mais il faut le bien entendre. On l’entend souvent en ce sens que chaque phénomène a pour antécédents et pour conditions tous les autres phénomènes de l’univers. Mais ce ne sont pas seulement les conditions d’existence d’une chose donnée qui vont à l’infini ; car, si cette chose ne plongeait dans l’existence universelle que par ses conditions, cela ne l’empêcherait pas d’avoir en elle-même une existence propre et séparée ce qui va à l’infini, et ce qui enveloppe tout, c’est l’être même de cette chose, ainsi du reste que nous l’avons reconnu plus haut. Il suit de là que la connaissance scientifique d’une existence particulière quelconque est impossible, puisqu’il faudrait y faire entrer la considération d’un infini. Le vieil adage péripatéticien est toujours vrai : il n’y a point de science du particulier.

Cela étant, il nous faut renoncer à la science, s’il ne se rencontre pas dans les choses particulières elles-mêmes de certaines généralités par où la science puisse avoir prise sur elles. Or ces généralités existent ce sont ce que l’on appelle communément les lois et les causes. La connaissance par les lois et par les causes n’est pas la connaissance absolue, car elle détermine les choses seulement quant à l’essence, sans pouvoir leur assurer une existence réelle, c’est-à-dire sans leur assigner une place dans le temps et dans l’espace. On conçoit certainement, à titre d’idéal, une connaissance supérieure, qui n’aurait plus rien d’abstrait, et qui, ayant pour objet les vrais principes des choses, les déterminerait quant à l’existence, en leur assignant une situation dans le temps et dans l’espace. Si, comme le pensaient Descartes et Leibniz, il existe un entendement divin dans lequel puisse s’opérer la résolution à l’infini dont notre entendement à nous est incapable, il est hors de doute que ce n’est pas par les lois ni par les causes que cet entendement connaît et comprend les divers phénomènes dont l’univers est le théâtre ; c’est par les principes concrets dont chaque réalité concrète est formée. Mais la science par les lois et par les causes a le mérite essentiel d’être possible pour nous :