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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/34

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nature du désir. Il en est d’autres encore qui viennent de la nécessité où l’on se trouve d’adjoindre au désir une conception purement intellectuelle, et de définir le rapport qui doit s’établir entre ces deux pouvoirs hétérogènes.

Que le désir ne suffise pas à lui seul à remplir la fonction de coordination des éléments dans la nature organique, c’est ce qui paraît évident, pour peu qu’on y réfléchisse. D’abord, en effet, cette coordination n’est pas la seule condition qu’aient à remplir les éléments en question pour pouvoir constituer des touts organiques : il faut encore, suivant la doctrine que nous discutons, que les mouvements coordonnés en vue d’une fin obéissent rigoureusement aux lois mécaniques. Or le désir, qui est de nature purement sensible, ne connaît pas ces lois, qui sont de nature purement logique et abstraite : si donc il est l’unique moteur, les lois mécaniques ne pourront être observées. Pour qu’elles le soient, il est de toute nécessité que la puissance irrationnelle et illogique du désir trouve un frein et un régulateur dans une idée pure, parfaitement rationnelle et logique, qu’on pourra appeler l’idée mécanique. Ainsi, on nous donnait le mécanisme comme la loi fondamentale à laquelle était attachée l’existence des phénomènes, et la finalité, comme quelque chose d’étranger à cette loi, et de quasi surérogatoire, qui venait seulement, en vertu d’une principe tout différent, en régler les manifestations. Nous voyons bien maintenant qu’il serait tout aussi juste de se placer au point de vue diamétralement opposé, et de dire que le désir ou la tendance sont le fond de l’être, mais qu’une idée abstraite, l’idée mécanique, dirige dans le sens du mécanisme, sans les produire le moins du monde, les phénomènes, dont la loi primordiale est la réalisation d’une certaine fin.

Mais ce n’est pas seulement une idée pure qu’il faut placer côte à côte avec la tendance au sein des phénomènes, c’est deux idées, et deux idées radicalement hétérogènes et irréductibles l’une à l’autre. Il ne suffit pas, en effet, que l’influence d’une idée mécanique et abstraite assure la production des phénomènes en conformité avec les lois du mécanisme ; il faut encore qu’une idée formelle et concrète, à la manière des Idées de Platon et des Formes d’Aristote, vienne assurer la conformité de la fin vers laquelle les phénomènes tendent à un type défini, qui est l’espèce. Que cette idée formelle n’ait rien de commun avec l’idée mécanique, c’est ce qui n’est pas douteux ; mais on sera tenté peut-être de dire qu’elle n’est pas hétérogène au désir, puisqu’elle lui sert d’objet, et de prétendre même qu’elle se confond avec lui. Pourtant, quelle différence de caractères entre eux ! Le désir est d’ordre purement sensible,