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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/35

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ch. dunan. — le problème de la vie

l’idée formelle, d’ordre purement intelligible ; car le type à réaliser est une fin idéale qu’aucune expérience ne fait encore connaître, et dont la conception ne peut appartenir qu’à l’intelligence, seule capable d’une vertu prophétique et divinatrice : le désir est transitoire et contingent comme le phénomène dans lequel il apparaît, l’idée est éternelle et nécessaire : enfin, si l’on peut dire que le désir général de la nature entière est adéquat en extension à d’idée, il est certain que le désir, considéré dans chaque phénomène pris à part, ne correspond qu’à une partie de l’idée, puisque chaque phénomène ne peut prétendre à réaliser à lui seul l’idée totale. C’est donc, en définitive, trois puissances au moins, deux de l’ordre intellectuel, une de l’ordre sensible, qu’il faut supposer agissant de concert au sein des choses, pour comprendre comment, en ce monde, tous les phénomènes sont des mouvements qui tendent vers des fins.

Reste à savoir si l’accord de ces puissances est une chose possible. Or M. Lachelier lui-même a montré en perfection qu’il ne l’est pas. « L’objet de la connaissance, dit l’éminent auteur, ne peut devenir le terme de l’action que si la tendance se le représente comme un bien, et elle ne peut se le représenter comme un bien que si cet objet sollicite son activité par lui-même, et par un attrait indépendant de toute connaissance[1]. » Ainsi un objet a beau être connu, il ne peut mettre en branle une tendance qu’à la condition d’apparaître comme un bien, non pas conçu ni compris, mais senti ; et s’il est senti comme un bien, c’est indépendamment de toute connaissance. On pourrait donc dire avec juste raison, en paraphrasant un mot célèbre de Pascal : Mettez ensemble toutes les lumières, toutes les intuitions de l’intelligence, vous n’en ferez pas sortir un atome de tendance à l’action ; et même : Placez ensemble dans un sujet à la fois sensible et intelligent toute la spontanéité, et aussi toutes les idées pures qu’il vous plaira, il est impossible que jamais aucune de ces idées détermine à l’action cette spontanéité, qui pourtant ne demande qu’à agir. Par conséquent, l’influence régulatrice exercée sur la tendance par l’idée soit mécanique, soit formelle, influence nécessaire, nous l’avons vu, dans le système du mécano-téléologisme, ne peut avoir lieu.

Nous en avons fini avec la critique de la doctrine de la finalité. On dira peut-être que cette critique, d’une généralité nécessairement absolue, vient se heurter à l’expérience, puisqu’il est indéniable que la finalité se rencontre au moins dans les créations de l’art humain. Mais cette objection ne repose que sur un malentendu. Est-il bien

  1. Du fondement de l’Induction, p. 97.