Aller au contenu

Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
37
b. perez. — la maladie du pessimisme

inextricable amas de phénomènes. Là, plus qu’ailleurs, c’est une difficulté de saisir la vérité ; elle est déjà pénible à démêler en physiologie pure : que doit-ce être en physiologie psychologique ? Les médecins savent cela, et il est d’autant plus étonnant qu’ils aient souvent la conviction si facile, quand il s’agit de tirer des déductions ou des inductions en psychologie.

Je ferai ce reproche, tout en les louant comme ils le méritent, aux auteurs de deux thèses qu’il m’a paru intéressant d’analyser ici[1] : deux très remarquables essais de psychologie morbide, qui se rapportent, l’un directement, et l’autre indirectement, à l’altération pathologique dont l’expression mentale est le pessimisme. Ces deux médecins auront sans doute fait faire un grand pas à la question, en la précisant davantage. Toujours est-il qu’ils se sont quelque peu exagéré l’influence psychologique de la diathèse par eux étudiée, qu’il leur est arrivé de prendre des coïncidences pour des relations de causalité, et qu’ils ont trop facilement généralisé quelques observations individuelles.

Le pessimisme est-il bien réellement une maladie ou le résultat d’une diathèse morbide ? C’est là une conception en faveur aujourd’hui, même auprès de psychologues peu ou point physiologistes ; mais la doctrine, beaucoup plus ancienne, qui lui donne une origine normale, réunit encore beaucoup d’adhérents. James Sully, une autorité dans la matière, n’est pas éloigné de voir dans le pessimisme, avant tout, une particularité du tempérament émotionnel : il ne s’explique pas, d’ailleurs, sur les causes de la prédisposition fondamentale à la joie ou à la tristesse, qu’Heule attribue au plus ou moins de tonicité du système nerveux. Pour lui, il admet une forme normale, et une forme pathologique de pessimisme. Il y a, dit-il, des tempéraments heureux et des tempéraments malheureux, les uns plus sensibles au plaisir, les autres plus sensibles à la peine : cette différence native vient de l’humeur, du tempérament, des nerfs, de la volonté plus ou moins exercée et développée, plus ou moins apte à réagir énergiquement contre la douleur. Une disposition mélancolique n’est même pas incompatible avec une forte volonté, et ce n’est pas tout degré de tempérament triste qui fait obstacle à l’acquisition du bonheur, mais seulement les degrés les plus violents ; or ceux-ci équivalent à un état pathologique évident[2]. En somme, le pessimisme n’indique ou ne devient une véritable maladie que

  1. J. de Magalhães, O pessimismo no ponto de vista da psychologia morbida. Typ. universelle, Lisbonne, 1890. — Dr G. Huyghe, Des rapports de l’arthritisme avec les manifestations nerveuses. Jouve, Paris, 1890.
  2. Le pessimisme, p. 334.