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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/43

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b. perez. — la maladie du pessimisme

peralgie sous toutes ses formes. Non que le pessimiste ne soit pas capable de sentir le plaisir, et même, en beaucoup de cas, beaucoup plus vivement que la majorité des hommes ; mais cette disposition même contribue à le rendre plus vulnérable à la douleur, vu la disproportion qui existe entre ses tendances et ses puissances émotives. Son état peut se compliquer d’une hédomanie aussi exagérée que son hyperalgie. Il y a, en effet, un optimisme morbide, qui se rapproche de cette manie sans délire, l’aménomanie, caractérisée par une excitation anormale des sentiments de joie et de bien-être. On voit dans Rousseau, par exemple, le mélange de cet optimisme maladif avec un pessimisme plus ou moins accusé.

De cette instabilité, de cette hyperesthésie fondamentales, de cette disproportion entre les impressions et les réactions consécutives, résultent, selon M. Magalhães, ces caractères constants : désaccord entre les phénomènes affectifs, — entre les sentiments et l’intelligence, — entre les sentiments, les idées et les volitions.

En ce qui concerne les phénomènes affectifs, le pessimiste, ou l’hyperesthésique, est très sensible à l’amitié, à l’amour, au mépris, aux déceptions, au bien comme au mal personnel. Mais il souffre du bien comme du mal : d’un côté, sa faiblesse lui rend l’effort difficile et pénible, quand il s’agit de se procurer le bien qu’il désire, et de l’autre, la prédominance dans son esprit des associations douloureuses fait qu’il jouit moins de la possession d’un objet qu’il ne souffre de sa privation. Les tendances insatisfaites n’en continuent pas moins à se faire sentir : de là une souffrance positive dans l’ordre des sentiments instinctifs, et négative dans l’ordre des sentiments affectifs, souffrance qui s’accroît à mesure qu’elle se prolonge. En vertu des mêmes causes, si le plaisir présent se change pour lui en dégoût, la crainte des déceptions mêle son amertume à l’idée d’un plaisir futur. Ainsi s’expliquent ces contradictions dont le vulgaire s’étonne : l’impossibilité de se réjouir de ce qu’on a et de cesser de s’inquiéter de ce qui manque, le passage brusque de l’irritabilité violente ou chagrine à la langueur et à la timidité, les alternatives de confiance excessive en soi-même ou d’orgueil extrême et du sentiment exagéré d’impuissance ou d’infériorité. « Benjamin Constant, dit M. Magalhães, est un des exemples les plus typiques de cette désharmonie intérieure tout lui était nécessaire, et tout lui manquait joie, vertu, félicité, grandeur, tout se desséchait entre ses doigts arides. Il ne croyait à rien, et il s’efforçait de savourer les délices que l’amour procure aux âmes pieuses : ayant conçu l’idée d’un livre contre les religions, il composa, de bonne foi, un livre en faveur de toutes les religions. » Ce fut, il est vrai, le propre cas